Il m'a conquis dès sa première scène. Du Barry Lyndon pour ses décors champêtres, du Tarkovski pour ses mouvements lents et précis de caméra, du Pique-Nique à Hanging Rocks dans son ambiance détachée. Les crédits d'entrée sont déroulés, les premières secondes écoulées et déjà tout y est.
C'est simple, je n'avais pas ressenti autant d'extase devant la qualité des plans depuis mon dernier Kubrick.
« Tess est mon seul film romantique »
Et pourtant difficile de le voir au premier regard, tant le thème récurrent du film est celui de la cruauté de l’homme. Ils sont ivrognes, menteurs, pervers, violeurs, goujats, esclavagistes, rancunniers et j’en passe. Le romantisme, on le retrouve dans l’amour que Polanski porte à cette histoire et à sa femme au destin dramatique. Alors qu’elle repart pour Los Angeles, elle lui confie le livre de Thomas Hardy en lui glissant qu’il en ferait un très bon film. Il ne le sait pas alors, mais il voit pour la dernière fois sa femme, qui sera assassinée, par les troupes de Charles Manson. Elle était alors enceinte de 8 mois et demi.
Mais difficile d’y voir un pur film romantique, tant Polanski, une fois encore, s’érige en explorateur du mal. Ce thème poursuit Polanski aussi bien dans sa vie personnelle que dans ses films, donnant à ses derniers une touche autobiographique.
Le combat d’un homme
Exilé en France alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour viol sur mineur et qu'il craint l'extradition depuis la Grande-Bretagne, Polanski n’en demeure pas moins un maniaque du détail. La reconstitution de la campagne anglaise doit être parfaite. Tout est millimétré, réfléchi. Il va même jusqu’à faire importer des vaches et des veaux d’outre-manche. Il demande, un an à l’avance, à ce qu’aucun pesticide ne soit désormais utilisé, afin qu’herbes et fleurs poussent naturellement au milieu des champs, poussant l’anti-anachronisme à un extrême rarement atteint.
Au total, ce sont 9 mois et 40 lieux de tournage qui furent nécessaires pour un budget de 11 millions de dollars, ce qui en faisait du film tourné en France le plus coûteux à l’époque. Un an de post-production suivit, ainsi que des discussions interminables avec les distributeurs pour diffuser le film aux Etats-Unis pour enfin rentrer dans les frais. Un combat mené de front, parce que Polanski crut en son projet jusqu’au bout, parce qu’il fut aidé par un Claude Berri qui n’hésita pas à hypothéquer plusieurs fois sa maison et surtout parce qu’il se battait pour la meilleure des raisons : par amour. Amour de sa femme, amour d’une histoire, amour de l’actrice aussi, avec laquelle on lui prête une relation tumultueuse alors qu’elle n’a que 15 quand ils se rencontrent. Mais amour du cinéma surtout, un amour illimité qui se ressent à chaque seconde.
Résultat du combat: une réception critique dithyrambique, une raflée aux Césars et 3 oscars dont l’incontournable prix de la photographie décerné à un… belge. Bon, il a remplacé un type qui, excuse du peu, à travailler sur 2001, et est mort après trois mois de tournage, mais tu m'en voudras pas de le signaler.
Une musique qui raconte l’histoire
Premier film français à utiliser la technologie Dolby Stereo, la musique n’en est pas particulièrement mémorable. Mais rarement son utilisation n’a été autant au service de son intrigue. On comprend que quelque chose de grave est en train de se passer grâce à la musique. Son compositeur est le mieux placé pour en parler :
« Il y a une chose que j'ai adoré faire, c'est scénariser la
musique, la rendre partie intégrante du film. J'ai mis la musique en
scène par rapport à ce que Roman avait tourné et ne voulait pas
montrer. En fait, la musique d'un film doit ressembler à la tête du
metteur en scène. Dans Tess, la musique est un portrait de Roman.
C'est son âme »
Précisant, avec des mots d’une puissance incroyable :
Quand Tess se fait violer, c'est la musique qui viole et qui indique qu'il se passe une chose très grave parce qu'on ne voit rien.
Peintre des temps modernes
Mais Tess, c'est surtout une absolue beauté cinématographique fantasmagorique. C’est une visite guidée d’un musée de peinture de grands maitres. A chaque plan, un nouveau tableau et vous restez ébahis à chaque fois. Cette beauté, on la retrouve dans le personnage de Tess. Impossible de se lasser des multiples cadrages sur son visage angélique, de ses cheveux fouettés par le vent, de son regard perçant et énigmatique, de son sourire parfois mais de son désespoir surtout.
Un Polanski trop méconnu, aux prouesses techniques et à la photographie parfaite, démontrant un talent de fou furieux du monsieur.