Le sens de la fête

On ne l'avait pas vu venir ! Alors qu'on le pensait être devenu plus un commentateur qu'un faiseur de l'horreur à travers de nombreux documentaires sur le genre (et il faut bien dire que ses derniers longs-métrages nous avait laissé sur un sentiment mitigé), Eli Roth refait de parler de lui en livrant en 2023 ce qui peut s'apparenter à un des meilleurs héritiers de la vague des néo-slashers post-"Scream" à la fin des années 90. Et, dans notre bouche, c'est un immense compliment car ce sont tout simplement les films avec lesquels nous avons grandi et qui ont attisé nos premières flammes de spectateur vers l'horreur et, plus largement, notre appétit d'apprenti cinéphile !

Moulé sur les codes premier degré de cet âge d'or 90's (auxquels on ne pensait plus assister un jour vu à quel point les clichés du slasher sont le plus souvent aujourd'hui détournés en vue de délires métas plus ou moins réussis), "Thanksgiving" revient à l'essence brute et primaire du registre que l'on a tant adoré -et qu'Eli Roth adore manifestement aussi- avec un tueur masqué particulièrement roublard et généreux dans sa soif de vengeance assassine.

Mieux, la patte irrévérencieuse habituelle de Roth, parfois trop dispersée, se canalise ici à la perfection à l'intérieur du canevas du slasher, à la fois dans l'inventivité jamais prise en défaut des meurtres où l'humour noir tutoie quelques envolées gores franchement jouissives et par l'intermédiaire d'une critique bien sentie du consumérisme américain dévorant le sens des traditions jusqu'à emporter la population dans la folie de masse.

En ce sens, accompagnée de quelques clins d'oeil au slasher de fête référence "Halloween", l'introduction est à elle seule est un petit sommet du genre, inattendue sur ses finalités, parfaite pour nous immerger dans les fondations et les protagonistes de la mythologie sur lesquelles la vague de meurtres du film va ensuite se construire et, surtout, pensée pour offrir une séquence de carnage de haute volée totalement en adéquation avec le regard de vilain garnement de Roth sur ses contemporains.

Certes, pris un à un, la plupart des héros/suspects se résument à des archétypes classiques (notamment sa final girl trop insipide pour être marquante) mais "Thanksgiving" a le mérite d'en offrir une si large palette, où chacun est de surcroît rapidement identifiable, qu'il n'y a plus qu'à se laisser se prendre gentiment au jeu d'un whodunit à la mécanique bien rôdée, faisant la part belle à la rage de son tueur bien décidé à rappeler de façon extrême le sens des festivités de Thanksgiving à tout ce petit monde. Malgré quelques problèmes de montage en début de parcours (l'exposition des personnages après l'ouverture), le film se construit sur un rythme efficace qui ne retombe pour ainsi dire jamais, rebondissant avec fluidité sur chacun de ses points de vue et ses victimes massacrées pour offrir un spectacle malin, jubilatoire et dénué de la moindre once d'ennui que tout amateur d'une formule solide de slasher ne pourra qu'apprécier.

Une vraie bonne surprise revenant aux fondamentaux du slasher pour réveiller notre attrait et notre nostalgie vis-à-vis d'un genre trop souvent tourné en dérision, le tout élaboré avec respect et la malice corrosive indissociable de son auteur.

On est déjà prêt à reprendre un morceau de dinde dans une éventuelle suite.