D'une décennie riche en longs métrages faisant la part belle au vampirisme, du Bram Stoker's Dracula (1992) de Francis Ford Coppola au Vampires (1998) de John Carpenter, les années 90 auront également vu Abel Ferrara, réalisateur de King of New-York et Bad Lieutenant, s'y intéresser. Une surprise ? Plutôt une demi-surprise tant ce dernier n'avait jamais, depuis ses débuts dans le cinéma d'exploitation, tiré un trait sur le cinéma de genre avec, deux ans plus tôt, la deuxième adaptation du classique de Don Siegel, Body Snatchers, l'invasion continue. Avant-dernière collaboration entre Abel Ferrara et Nicholas St. John, ce film de vampires se démarque, pouvait-il en être autrement, par les thématiques personnelles abordées, le cinéaste et son scénariste livrant avec The Addiction une version urbaine et philosophique du vampirisme.
D'une trame évoquant fortement l'un des premiers moments forts de la filmographie d'Abel Ferrara, L'ange de la vengeance, soit le viol d'une jeune femme muette avant sa métamorphose en tueuse (les mémorables scènes finales de massacre des deux films se font également écho), The Addiction n'est ni un film d'exploitation comme son aîné de quatorze années, en dépit de son budget limité, ni sa relecture, mais plutôt son reflet déformé.
Monstre gothique popularisé à la fin du XIXème siècle par Bram Stocker, et quelques années auparavant par Sheridan Le Fanu en prédatrice lesbienne, la vampire de Ferrara et St John est désormais réduite à une condition de junkie cherchant sa dose d'hémoglobine. De l'allégorie de la maladie vénérienne à celle de l'addiction à la drogue, le duo imprime la mythologie vampirique dans une modernité crue et sordide. Kathleen erre dans les rues de New-York à la recherche de victimes. Sa première est un sans-abri dont elle puisera le précieux liquide avec une seringue, avant de se l'injecter dans les veines. Au-delà de la simple métaphore entre l'addiction aux drogues dures et à la malédiction du vampire, la non-morte incarne désormais autant la droguée que l'incarnation de la dépendance elle-même. "Dedita ergo sum". La tentation de la chute ou de l'abandon est bien trop séduisante pour la victime, à l'instar de la supposée citation libre-arbitraire d'Annabella Sciorra : "Regarde moi et dis moi de m'en aller. Ne me demande pas, dis le moi".
Parodie demi-assumée de la part d'un réalisateur vampirisé par les concepts philosophiques de son scénariste, le long métrage frôle plus d'une fois la limite. D'une prétention relevant d'un pastiche assumé ou non, le scénario de St John, empreint de l'éducation catholique de ce dernier, s'avère toutefois plus convaincant quand celui-ci s'intéresse à la nature du Mal, le vampire jouant de nouveau le rôle d'allégorie. "Nous ne sommes pas mauvais pour le Mal que nous faisons, mais nous faisons le Mal car nous sommes mauvais".
Filmé dans un noir et blanc dont le fort contraste évoque l'horreur graphique expressionniste plongée au cœur de la jungle urbaine d'un New York obscur et quasi cauchemardesque, au son de Cypress Hill, Onyx et Schoolly D, The Addiction, en sus de ses qualités esthétiques remarquables, se démarque par l'interprétation de ses actrices et acteurs. D'une Lili Taylor habitée à la sublime Annabella Sciorra dont l'apparition et la scène de morsure est l'un des monuments du cinéma horrifique de la décennie 90, le film offre à Christopher Walken un rôle à sa mesure, celui d'un vampire ascète qui tente, en vain, d'inculquer à Kathleen le contrôle de son addiction. "Tu crois comprendre les choses mais tu ne sais rien [...] Tu es l'esclave de ce que tu es. Et tu n'es rien".
A (re)découvrir.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2021/03/the-addiction-abel-ferrara-1995.html