M'est avis que ce film induira beaucoup de personnes en erreur... Et ce pour deux raisons au moins.
La première, c'est la prédominance de la culture asiatique dans les thématiques que brasse The Assassin. Il y a beau avoir un court paragraphe expliquant l'état de la Chine au IXe siècle en guise d'introduction, il y a fort à parier que beaucoup de références nous échappent et qu'un seul visionnage ne suffise pas à saisir l'étendue des enjeux traités ici. Le récit se glisse assez habilement dans l'Histoire de la Chine, et se propose d'illustrer une nouvelle fois les tensions qui grandissent entre un pouvoir central (l'empereur) et les forces en puissance dans les différentes localités (ici, la province de Weibo).
Mais au-delà du contexte historique qui pourra entraver la compréhension de la trame narrative principale (et de ses nombreuses ramifications), c'est tout un ensemble de codes et de positions qui se mettra en travers du chemin du spectateur occidental. Un seul exemple : dans la seconde moitié du film, l'assassin du titre se verra confrontée à une mystérieuse femme masquée dont l'identité ne sera jamais formellement dévoilée. Certains indices peuvent nous mettre sur la voie, mais on peut très bien sortir de leur affrontement (magnifique au demeurant, séquence splendide dans une forêt de bouleaux) sans avoir compris ce qui venait de se jouer, alors que la posture de ce personnage, sa façon de se tenir et de se battre en dit infiniment plus tout en restant potentiellement indéchiffrable au commun des mortels (occidentaux).
La seconde, c'est bien sûr le titre, à l'origine de beaucoup de soupirs d'exaspération dans la salle, à n'en pas douter. Tout ici est lent, souvent contemplatif (on est chez Hou Hsiao-Hsien, il ne faudrait pas l'oublier), on n'est même pas dans un wu xia pian à proprement parler tant les combats sont mineurs. Non, le cœur du film se trouve dans le travail sur l'ambiance, autant visuelle que sonore. Et à ce niveau-là, The Assassin est un pur régal. Le film ne comporte quasiment pas de musique (à deux ou trois exceptions près, notables et étonnantes), et il ne se passe pas un moment sans qu'on entende en fond le chant des oiseaux, le son des criquets, le feu qui crépite, l'eau qui s'écoule d'une falaise. On entendrait la poussière balayée par le vent. Les rares combats se font presque en silence, dans le calme de la nuit, sur les toits ou dans des sous-bois. Seul le bruit des épées qui se croisent vient briser cette atmosphère sonore apaisée, entre deux martèlements de tambours.
Et c'est précisément là qu'on saisit l'intérêt (ou un intérêt) du film, de manière détournée et inattendue. Si l'utilisation du Noir et Blanc pour la séquence initiale ne m'a pas vraiment convaincu, pas plus que le choix d'un quasi 4/3 pour le format d'image, le travail incroyablement soigné sur le son rejoint celui tout aussi méticuleux sur l'image. Que ce soit dans le sens des cadres et des compositions, avec des personnages qui apparaissent et disparaissent derrière des arbres ou des voiles, la caméra de Hou Hsiao-Hsien confère aux images une puissance surprenante. De nombreux plan-séquences, bien sûr, qui se concentrent autant sur des scènes d'intérieur (bureau politique du seigneur, maquillage d'une princesse, victime d'un sortilège, plans évasifs à travers les voiles d'un salon) que d'extérieur (les combats, mais aussi un des derniers plans où l'assassin fait son ultime rapport à son maître, séquence capturée au bord d'une falaise, au milieu d'une forêt, les deux personnages délicatement enveloppés dans une brume dynamique). Autant de finesse dans l'enveloppe esthétique me fait assez facilement oublier les désagréments du reste : voilà un tour de force aussi puissant qu'inespéré.
[Avis brut #41]