Difficile, parfois, de porter un jugement définitif sur une oeuvre, tant celle-ci semble se dérober entre les doigts de notre esprit critique ou adopter une attitude constamment fuyante. The Assassin, à l'évidence, en fait partie.
J'entends déjà hurler au sacrilège et à ce qu'on pende bien haut l'infidèle cinéphilique. Mais entendons-nous bien. Car The Assassin est d'abord d'une beauté confondante, tant il réussit à saisir la vie de ses décors naturels et qu'il sublime l'aspect chatoyant des intérieurs qu'il visite, magnifiquement composés. Tout en tentures, en voiles, en superbes motifs et en lumières orangées. Jouant sur les transparences, ces décors donnent lieu à la plus belle séquence du film, où l'assassin oscille entre l'apparition et la disparition au gré du vent qui anime les replis de la soie. Chaque scène s'envisage dès lors comme un très joli tableau, assénant sa beauté comme une évidence au sein d'un opéra graphique somptueux.
Dommage que cette succession ne soit, justement, qu'une simple succession. Une juxtaposition lâche où les ellipses, nombreuses, auront tôt fait de désorienter et de perdre le spectateur. Et il ne faudra pas compter sur Hou Hsiao Hsien (alias Triple H pour les intimes) pour une session de rattrapage. Car celui-ci semble considérer qu'il incombe à son audience de faire l'effort d'entrer dans son univers et que ce parti-pris l'exonère de tendre la main à celui qui s'aventure chez lui pour le guider.
Ce constat dressé, l'approche de Triple H ressemble à une entreprise froide et désincarnée alors qu'au contraire, l'assassin qu'il met en scène semble déborder d'émotion, faisant verser par instant le film dans un certain autisme qui, s'il sera propice à toutes les interprétations, nuit cependant à l'immersion du spectateur, qui cherche en vain une porte d'entrée dans une oeuvre hermétique. Cette impression est prolongée par une longue première partie assommante mettant en scène des protagonistes raides, toujours assis ou debouts, constamment immobiles tout en fixant le vide, comme pénétrés de gravité, comme engoncés dans une intrigue politique inutilement alambiquée.
Ce n'est que lorsque l'assassin apparaît que le spectateur refait surface et qu'il peut s'agripper à cette jolie figure tragique, mutique et dévorée par les élans de son coeur. Magnétique, Shu Qi fascine et ouvre une porte salvatrice permettant de rentrer dans un film qui prend enfin son envol, mais un peu tard, et où l'argument fantastique apparaît. Trop tard pour contrebalancer une austérité parfois rédhibitoire, certaines scènes dilatées inutilement, les motivations troubles de la nonne ou l'apparition gratuite de personnages sortis d'on-ne-sait-où.
Et il persiste tout au long de la projection cette impression tenace que Triple H semble filmer avant tout pour lui-même, pour se faire plaisir et étaler son aptitude, peu importe si son public le suit ou reste au contraire sur le bord de la route. Une route jalonnée de silences, de regards graves et perdus, ou encore d'émotions contenues sur laquelle se pâmeront sans doutes certains superlatifs inrockuptibles. Mais si l'art de la réalisation est là, à l'évidence, il est tout simplement privé d'un coeur qui bat, celui de sa troublante héroïne.
Behind_the_Mask, les yeux dans le vague, qui se drape de soie.