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Après pratiquement dix ans d’arrêt, Hou Hsiao-Hsien revient derrière la caméra avec The Assassin, un film ancré dans le genre du wu xa pian (littéralement ''film de héros martial''), qui avait été présenté en compétition à Cannes en 2015, laissant à certains un goût amer en bouche. On peut voir plusieurs facteurs déceptifs à cela, en premier lieu celui de croire que le genre, popularisé par Tigre et Dragon d’Ang Lee en 2000 (et dont la suite vient de voir le jour via Netflix) devrait nécessairement faire appel à des combats dantesques, entre chorégraphies virtuoses et apparat ancestral. L’autre étant qu’il est – apparemment – incompréhensible, quand la sécheresse et l’amplitude de sa narration sont au contraire de véritables atouts. Car au fond, The Assassin n’est pas aussi complexe qu’il en a l’air, malgré son carton introductif. Il narre l’histoire de Nie Yinniang, jeune tueuse en passe de finir son apprentissage, renvoyée dans sa famille et chargée de tuer son cousin Tian Ji’an, anciennement promis à elle mais marié à une autre concubine. Lui-même est en conflit militaire avec l’empereur, qui souhaite reprendre la province de Weibo, qu’il contrôle. Nous sommes au IXème siècle, dans la Chine ancestrale, et HHH nous livre un film sur la moralité, l’apprentissage et la nécessité de l’être à trouver sa propre voie.
Un récit antique, documenté et dépeignant avec une certaine précision une époque instaure rapidement une idée préconçue de complexité, comme si l’exotisme de l’univers devait nécessairement mettre nos neurones à rude épreuve. Mais l’attitude à avoir face au film est contraire, tant il s’envisage comme un récit avec sa propre temporalité, dilué dans une poétique mortifère où les joutes gouvernementales s’opposent aux tentatives de Yinniang à tuer son cousin. Tel un félin, Shu Qi se juxtapose au décor, s’insinue dans les moindres recoins, attentive, mais annonce son arrivée à sa cible en lui rendant la moitié du morceau de jade qui représentait leur union. Elle pense, son regard vif empreint de complexité. Elle sauvera la compagne de Tian Ji’an, protégera son émissaire envoyé à la frontière en exil ; c’est une quête impossible pour elle, seule et déconnectée de cette dynastie dont elle a vécue éloignée trop longtemps. Son récit concentré sur 1h45, HHH ne tergiverse pas, tranche dans le vif en coupant tout ce qui pourrait éloigner le spectateur du principal, jusque dans les scènes d’action, brèves et intenses à la fois. D’autant plus marquantes qu’elles arrivent brutalement dans la diégèse, et laissent le montage aride exprimer une vive opposition dans la mise en scène, entre danse et contemplation.
Il n’y a aucune surprise à ce que le film soit reparti avec le prix de la mise en scène à Cannes, tant celle-ci semble pensée bien en amont, réduite à ce qu’elle a de plus fonctionnelle et évocatrice. Une certaine immatérialité s’en dégage, comme si le temps, marqué par les tambours en fond sonore, laissait les protagonistes dans un présent immémorial. Un sentiment fugace s’en dégage, l’impression de ne pas tout saisir dès l’instant, pour finalement comprendre à un instant ''B'' ce que signifiait un plan à un instant ''A''. Ce présent continuel, même dans les souvenirs de l’héroïne, tend le récit à dérouter, ce qui expliquerait pourquoi certains s’y sont égarés, mais n’en déplaise à leur ressentiment, c’est ce temps cinématographique qui fait tout le sens de cette quête perpétuelle de soi. Dans le contraste entre les intérieurs restreints, illuminés par les bougies et où la seule liberté se trouve dans les poutres où l’héroïne s’accroche s’oppose celle des décors naturels magnifiquement préservés. Une distinction dans le cadre (et le format de l’image) qui appuie sur la quête intérieure de Yinniang mais aussi de Tian Ji’an, stoïque et constamment assis dans une position normée, bloqué dans un corset de normes bourgeoises. Quand l’une s’élance avec agilité, lui s’exprime par des gestes abrupts, exprimant son bouillonnement spirituel. Cette charge émotionnelle à retardement offre au film sa plus grande puissance, sa capacité à mêler la réflexion au code moral du rang auquel appartiennent les personnages. Hou Hsiao-Hsien filme cette histoire comme un peintre, apposant petit à petit des couches pour former un tableau d’une beauté rare, où l’évanescence du présent se mêle aux rites ancestraux de la danse martiale.