Je n’écris jamais de critique, mais là c’est trop. Après avoir visionné et adoré The Beach Bum, je me suis rendue sur cette page pour voir ce qu’en pensait la communauté ; j’ai rarement été aussi outrée de voir autant de dédain, de rejet, et d’incompréhension. Et quand bien même certains ont aimé le film, beaucoup ne peuvent s’empêcher de le comparer à un Big Lebowski ou pire, un « stoner movie ». Si c’est ce qui les a fait apprécier le film, tant mieux, mais je pense que The Beach Bum est bien plus que ça.
Pour moi ce n’est absolument pas un film de défoncé, un film mineur qu’on regarderait en fumant un gros joint dans son canapé. The Beach Bum coule dans la même veine que Spring Breakers : il transpire la poésie. Une poésie de la crasse, de l’insouciance, de l’instant, une poésie que l’on retrouve dans toute l’ambiance du film.
Son montage est d’un virtuose que ça en fait tourner la tête. Il n’y a pas de scènes à proprement parler dans ce film, et c’est ce qui en fait son aura unique. Korine s’attache à créer des moments, des instants de vie, sans jamais prendre le temps de les mettre en place. Il plonge directement le spectateur dedans, et l’en retire d’une manière tout aussi brusque. Et pourtant, le film se déroule et se ressent comme un long voyage, un fil continu qui ne cesse de nous emporter. De même que pour Spring Breakers, Korine ne s’intéresse pas au scénario classique, préférant créer une sorte d’hypnose au spectateur. The Beach Bum nous plonge dans une atmosphère, un monde où les marginaux sont au centre. Et quand bien même il inclue des « péripéties » dans son histoire, elles ne sont jamais traitées comme telles. À l’image de Moondog, on s’en fout de ce qu’il se passe dans sa vie, du moins on ne le prend pas au sérieux : on suit le cours, on se laisse porter comme un bateau par les vagues.
J’ai lu pas mal de personnes insister sur le fait que Korine condamnait les non-marginaux ; blessées dans leur ego, ces personnes rejetaient donc en bloc le film, clamant parfois même que The Beach Bum est un ramassis de clichés. Mais il n’y a rien de politique dans le film selon moi ; et c’est bien là l’un des problèmes de notre époque, vouloir toujours rattacher le propos d’un film à une dimension politique. The Beach Bum parle des marginaux, alors il critique les conformistes. The Beach Bum parle de liberté, de la vacuité de l’argent, alors il critique les gens qui ne sont pas dans le même schéma. Mais pourquoi se sentir visé lorsque jamais il ne montre un personnage qui est opposé au mode de vie de Moondog ? Non selon moi Korine veut simplement nous plonger dans ce monde de décalés, tout comme dans Gummo, Spring Breakers, ou à fortiori toute sa filmographie. Cela ne veut en aucun cas dire qu’il nous balance une morale à la gueule selon laquelle il faudrait faire comme ses personnages. Korine s’en fout de la morale, il filme juste ce qui l’intéresse.
The Beach Bum est une expérience filmique incroyable, supportée par des plans virtuoses. La caméra ne s’arrête jamais, Korine et son directeur photo -l’époustouflant Benoit Debie, que l’on ne présente plus- s’attachent à filmer aux couchers de soleils, ou aux petits matins, toujours dans cette idée d’avoir une lumière particulière (par ailleurs cela permet à Korine de jouer sur la spontanéité de ses acteurs, puisque ce sont des moments très brefs, par conséquent il faut tourner le maximum de plans rapidement ; cela, bien évidemment, ajoute au film une dimension merveilleusement naturelle). À ces ambiances s’opposent les ambiances de nuit, filmées avec un objectif anamorphique, qui donne aux lumières des lampadaires une douceur et une déformation nous permettant de plonger encore plus dans cet univers. On retrouve évidemment des néons, lumières particulièrement à la mode aujourd’hui, mais encore une fois filmés sans sur-esthétisation. Korine a des plans magnifiques, mais ce n’est pas pour autant qu’il va les faire durer (pour bien montrer au spectateur qu’il maitrise ses plans, et bla bla bla) ; au contraire il va garder sa caméra en mouvement, laisser ses acteurs vivre dans la pièce et s’approprier l’instant, et par la suite utiliser un montage rapide, cutant pendant les discussions (pour ensuite reprendre la même conversation mais dans un autre lieu, ou bien avec des vêtements différents. Korine a en fait tourné la plupart de ses dialogues dans trois lieux, afin de pouvoir en jouer au montage et créer cette atmosphère si particulière). C’est pourquoi The Beach Bum n’est pas prétentieux : tous ces choix de mise en scène s’attachent à soutenir le propos du film.
Finalement analyser The Beach Bum par des éléments concrets (plans, montage, jeu…) est assez vain selon moi. Parce qu’en premier lieu ce film est fait pour être ressenti, et non décortiqué. C’est seulement si vous vous laissez aller que vous pourrez -peut-être, si le style vous correspond, car évidemment tout le monde ne peut pas aimer les mêmes films- être touché par la grandiosité de cette oeuvre. Et j’insiste une dernière fois là-dessus car cela m’attriste de le lire : ce film n’est pas débile, ce film n’est pas fait pour être regardé à la va-vite, ce film n’est pas un stoner movie : c’est un film sublime, épris d’une mélancolie et d’un lyrisme affolants, c’est une expérience sensorielle inoubliable. Alors oubliez vos aprioris, ne catérogiez pas un personnage dans une case (par exemple Matthew McConaughey que j’ai vu catégorisé dans la case « mec défoncé »), car vous passerez à côté de tout ce qu’a voulu dire Harmony Korine. Ses personnages vivent, suent, ont des personnalités singulières et leur propre argot.
Alors oui, pour ma critique je n’ai pas mis le film dans son contexte, je n’ai pas rappelé son « pitch », je n’ai pas divagué pendant un long moment sur ce qu’il se passait dans la vie des personnages. J’ai préféré axer mon propos sur l’émotion ressentie. De toute manière vous n’avez pas besoin de savoir ce que raconte ce film -et par ailleurs n’importe quel film-, pour décider de le visionner. Si cela vous manque malgré tout, je vous renvoie vers l’excellente critique de Red Arrow.
En derniers mots, quel bonheur d’avoir un réalisateur visionnaire comme Harmony Korine, et quelle tristesse qu’il soit encore si systématiquement rejeté par certains.
Merci, Korine, pour ton cinéma.