Nate et Nat
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le 21 oct. 2016
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Notre époque est propice à l'amnésie collective. La mémoire est d'autant plus troublée que le sujet de l'esclavage et de la colonisation sont sensibles à l'heure du retour en force des récits nationaux héroïques. Les américains ne font pas exceptions et ont plusieurs mythes fondateurs bien identifiables sensés expliquer la place unique de leur nation dans le monde. La conquête de l'ouest en fait partie, tout comme le self made man ou bien encore la vertu originelle de leur pays, the land of the free.
The birth of a nation est un exercice de remise à plat de ces mythes fondateurs aveuglant quant aux causes réelles de la richesse des nations. Le capitalisme américain s'est construit dans les plantations du sud autant que dans les industries du nord grâce à l'emploi d'une main d'oeuvre martyrisée, brutalisée et déportée de force. Impossible de rester de marbre face à l'horreur auquel on est confrontée. Et dieu ce qui nous est présenté est horrible!! Impossible pour moi de ne pas pleurer de rage face à tant de violence, d'injustice, et de mépris. Le grand succès de ce film est rendre très concret et tangible l'économie des plantations qui a fait la richesse des Etats-Unis et de l'Europe au XIXème siècle. Impossible de se cacher derrière son petit confort après un tel visionnage, ce film est l'histoire des plantations mis à la portée du public. La forme sert le fond. la violence infligée aux esclaves dans le film a bel et bien été infligée dans les plantations afin de mater tout sentiment de révolte. Sans succès ici, puisque c'est l'ultra-violence des esclavagistes qui met le feu aux poudres. Les plus chagrins peuvent arguer des quelques infidélités du film vis à vis de l'Histoire du véritable Nat Turner dont rien n'indique que la femme n'est jamais eu à subir ce qu'elle a subi dans le film. Peu importe, les esclaves pouvaient et ont souffert l'étendu de ce qui leur est infligé dans le film et bien plus encore.
Le thème du film questionne les américains sur les origines de leur nation et sur cette sacro-sainte constitution faite par des propriétaires d'esclaves et de plantation pour eux-même. Par effet miroir, le film questionne l'autre nation aux valeurs universalistes qui s'est construit sur une Révolution à la fin du XVIIIème siècle, à savoir la France. Les deux pays, les deux républiques soeur, sont a bien des égards plus proche qu'on ne veut bien l'admettre. La France s'est autant enrichie du commerce d'esclave, des plantations, et du commerce transatlantique que les colonies américaines. Haïti, était la perle des antilles françaises, et produisait tout le sucre et le cacao dont avait besoin la société des salons en métropole. La Révolution Française et la Révolution Haïtienne ont presque permis la libération des esclaves dans les antilles mais la contre-révolution Thermidorienne et surtout Napoléon empêcheront la libération des esclaves en-dehors d'Haïti devenu indépendante ( qui sera forcé de payer une indemnité faramineuse à la France, première raison de la pauvreté des haïtiens jusqu'à ce jour). Pour le reste, l'esclavage restera permis dans les antilles françaises et à la Réunion jusqu'à 1848.
Comment à partir de cette Histoire autant française qu'américaine en conclure que la richesse des nations occidentales viendrait d'un génie qui leurs seraient propres ? C'est bien ce qu'on nous demande de croire lorsque des politiques parlent de la grandeur de la France avec des trémolos de nostalgie pour l'ancien empire coloniale à peine voilés ou lorsque qu'on nous ressort la morbide mission civilisationnelle de la France en Afrique. Les véritables raisons de la présence de la France en Afrique après 1870 sont les mêmes que celles qui ont permis le commerce triangulaire, à savoir la volonté d'exploiter les ressources et les hommes pour le profit d'une minorité et de son industrie naissante. Certainement pas la volonté d'apporter les "lumières" de la civilisation française et la liberté au monde.
Je dois d'ailleurs m'excuser après coup pour l'utilisation de termes génériques tel que "la France" ou "les Américains" par facilité rhétorique et fainéantise. Bien-sûr que tous les Français et tous les Américains ne sont pas coupables et n'ont pas à se sentir coupable des politiques esclavagistes et impérialistes du XIXème siècle mis en place par une minorité élitiste qui utilisait toute l'étendu de son emprise sur l'Etat pour avancer ses propres intérêts. Il est d'ailleurs intéressant de noter à quel point les méthodes employées pour mater la révolte dans le film et les méthodes utilisées sous nos latitudes pour mater les révoltes et grèves d'ouvrier sont similaires. La fin du film est en effet remarquable par l'apparition d'un nouveau personnage qui mate à lui seul ce que les propriétaires ne pouvaient mater avec leurs pétoires. Ce personnage, c'est la troupe!! La troupe de ligne resplendissante de ses uniformes colorés, de ses épaulières, de ses pompons rouges et de ses cannons. La même troupe qu'en France au XIXème, avec les mêmes uniformes et la même autorité morale basé sur l'ordre à protéger, le status quo, et le maintien du système de production en place. Peu importe que le système soit l'horreur incarnée dans le film, l'Ordre sont les ordres. Chacun à sa place.
Quelles différences alors entre les mineurs et les ouvriers d'Europe et du nord-est des USA et les esclaves travaillant à fournir la matière première aux industries ? Aucune, si ce n'est à chercher une gradation dans l'horreur ! Le même dédain vis à vis de leur vie et le même traitement une fois que l'insupportable entraîne l'inévitable rébellion. Ce film travaille à la redéfinition de la nation américaine de la même manière qu'il questionne notre rapport à la nationalité française. A l'heure où tout le monde ne peut se prétendre descendant de gaulois mais ou tout le monde ou presque a un ancêtre ayant souffert du développement de l'industrie française en métropole comme dans les colonies, n'est ce pas là l'origine de la nation française contemporaine ?
Oui, The Birth of a Nation raconte tout cela et bien plus encore.
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Créée
le 4 janv. 2017
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Attention, Attention cette critique contient des morceaux de spoil et sa sauce blanche tomates oignons et même si ce film ne contient pas de twist dont le dévoilement vous le gâche, ne venez pas vous...
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