Quand le cinéma fut inventé, nous avons découvert comment maîtriser le temps. Comment le contenir dans une boîte noire, et comment l’imprimer sur pellicule pour le montrer et le partager avec d’autres personnes. Sous nos yeux ébahis, la vie s’anime enfin. Voilà bientôt 125 ans qu’avait lieu la première projection publique du cinématographe Lumière, et quelques années de plus que Dickson et Edison produisaient déjà des films outre-atlantique. Et la magie du cinéma, c’est de pouvoir retourner à cette époque, grâce aux superbes images restaurées et réunies dans The Brilliant Biograph.
Dès les premières années du cinéma, l’inventeur William Kennedy Laurie Dickson, pionnier du cinéma qui participa grandement à l’invention, notamment, du kinétographe, du kinétoscope et de la pellicule 35 mm, mit également au point, quelques années plus tard, un système permettant de filmer sur une pellicule 68 mm, offrant une définition et une qualité d’images inédites. Nommé Biograph, l’outil fut notamment utilisé par les opérateurs des succursales européennes de l’American Mutoscope Company, sillonnant le continent pour tourner de nombreux films. Grâce à des images tirées des collections du Eye Filmmuseum d’Amsterdam et du British Film Institute de Londres, scannées en 8K digital pour un rendu optimal, Frank Roumen propose une expérience unique grâce à un fabuleux montage permettant de redécouvrir ces films d’un autre temps.
Comment ne pas être émerveillé en voyant ces images s’animer devant nos yeux ? Datant, pour la plupart, d’avant 1900, ces films redonnent vie au monde de l’époque, que ce soit à travers des scènes du quotidien, ou des paysages d’Europe, allant de la Grande-Bretagne à Malte, en passant par les Pays-Bas, la France et l’Italie. Souvent dégradées par le temps, les films de cette époque peuvent nous paraître lointains et usés, mais ce documentaire offre un tout nouveau regard et une nouvelle perspective, nous menant aux racines de bien des choses. The Brilliant Biograph nous fait découvrir non seulement les origines du cinéma, mais aussi, quelque part, celles de notre monde moderne, créant un instant magique provoquant des émotions que seules le cinéma peut procurer. En voyant ces images, on prend le temps d’observer et de réfléchir. Les questions fusent : Ces personnes, filmées à la fin du XIXe siècle, pensaient-elles un instant, qu’un jour, en 2020, quelqu’un les verrait comme à cet instant précis ? A la vue de certains regards interrogateurs, certaines de ces personnes savaient-elles même ce qu’était une caméra ?
Comme l’enfant qui apprend et qui observe le monde qui l’entoure, l’Homme a utilisé cette nouvelle invention, ce nouvel œil, pour, également, observer le monde, et nous permettre de le faire à notre tour. Nous sommes comme des enfants, promenant notre regard dans ces superbes images, pour construire un pont éphémère avec une époque lointaine. Les vagues et la mer continuent leur mouvement éternel, alors que les hommes qui s’amusent et qui se baignent ne font que passer et disparaissent. Tout comme les bateaux qui voguent, les gens qui jouent dans une piscine, les trains qui passent… C’est le contact entre l’éphémère et l’éternel, ce qui fait partie de la définition même du cinéma, qui capture des instants uniques et volatils, pour être en mesure de les conserver bien longtemps après encore.
C’est un véritable voyage dans le temps que nous offre The Brilliant Biograph, qui nous permet de découvrir le monde, au tournant du XXe siècle, comme jamais auparavant. Voyages en train, en bateau, en gondoles, scènes urbaines et rurales, instants de vie en famille, processions de moines, même des publicités… Ce documentaire propose une variété de films aussi riche que surprenante pour offrir un panorama de l’Europe autour de 1900. Des témoignages précieux qui rappellent ce qui fait toute la magie et la spécificité du cinéma, dont l’essence la plus pure s’exprime ici devant nos yeux. Le visionnage sur grand écran (ou aussi grand que possible) est recommandé pour profiter de toute la qualité de détail offerte par l’utilisation de la pellicule 68mm et la restauration 8K, propices à l’émerveillement. Autorisez-vous un instant hors du temps, et admirez.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art