Chaque année, on ne retient du festival de Cannes que deux choses : la Palme d'or, et le scandale.
En 2003, la Palme d'or, ce fut Elephant.
Le scandale, ce fut The Brown Bunny.
Plus précisément, deux minutes d'un film d'une heure et demi, deux minutes complètement coupées du contexte et mises en avant par les mêmes vieux coincés qui avaient dû être scandalisés par Empire des Sens, par exemple.
Fort heureusement, The Brown Bunny est beaucoup plus qu'une simple scène de fellation non simulée; à l'opposé du cinéma de Catherine Breillat, qui mise sur le sexe pour attirer des spectateurs et provoquer des scandales qui feront parler d'elle, cette scène, chez Vincent Gallo, intervient dans tout un contexte émouvant de désespoir et avec une logique inattaquable.
Vincent Gallo, vous le connaissez déjà. Vous l'avez vu aux côtés de Johnny Depp dans Arizona Dream, de Kusturica, ou auprès de Christopher Walken dans Nos Funérailles, d'Abel Ferrara. The Brown Bunny est son deuxième long métrage, après le très beau Buffalo 66. Les deux films partagent d'ailleurs des points communs : ce sont les portraits sobres et émouvants de personnages seuls et désespérés.
Ce film nous montre le personnage de Bud Clay ; je ne vais pas dire qu'il en raconte l'histoire, car il n'y a pas vraiment d'histoire ici. Bud est un pilote de moto. Il rentre chez lui, à Los Angeles, au volant de sa camionnette, traversant ainsi une bonne partie des Etats-Unis.
Il y a quelque chose qui ne va pas chez lui. On comprend assez vite ce que ça peut être. Il arrive dans son patelin natal et parle avec un vieux couple. Il leur parle de leur fille, Daisy, une copine d'enfance devenue sa fiancée. Elle est partie, dit-il.
Cette scène est importante car elle déclenche vraiment le film. On comprend que Bud cherche Daisy. Jusqu'à l'obsession. Pendant tout le film, il va s'approcher de différentes femmes, qui toutes ressemblent à Daisy. Relations avortées. Bud voit Daisy partout, dans chaque femme, dans chaque lieu, comme une marque posée à chaque endroit où il passe, rendant la vie sans elle impossible. Une absence qui transforme Bud en un fantôme errant, un être que l'on remarque à peine (voir cette scène avec les parents de Daisy, qui ne le reconnaissent même pas).
Le film est très lent, un road movie filmé au plus près du personnage ; ne cherchez pas ici de décors magnifiques : ce que l'on voit le mieux, c'est Bud.
La dernière demi-heure est extraordinaire. C'est le retour à Los Angeles. C'est Daisy et Bud dans une chambre d'hôtel. C'est la vision d'un couple fracassé, de deux individus paumés, perdus dans leur douleur (la voix de Vincent Gallo ! Cette voix déchirante ! Combien de douleur il parvient à faire passer dans cette voix ! quel formidable travail d'acteur !).
Si vous décidez de voir ce film, ne vous faites pas un avis avant de l'avoir fini. Cette dernière demi-heure est d'une telle beauté qu'elle emporte tout avec elle...
C'est beau comme la tristesse et douloureux comme l'amour.
C'est un film courageux, intense, l’œuvre d'un grand cinéaste et un film à re-considérer de toute urgence.