The Brutalist
7.5
The Brutalist

Film de Brady Corbet (2024)

“I found this conversation persuasive and intellectually stimulating”

Cette critique contient des spoilers.

I found this conversation persuasive and intellectually stimulating - Harrison Lee Van Buren

Cette phrase, prononcée par Harrison Lee Van Buren, résume à elle seule toute l’essence du film.


Un grand film sur l'après-Shoah et le rêve américain, The Brutalist est une fresque poignante sur la vie d'après et l'impossible oubli. Réalisé avec une ambition rare par Brady Corbet, ce film explore la reconstruction d'un homme et de sa famille dans l'Amérique d'après-guerre.


Adrien Brody livre une performance magistrale et habitée en incarnant László Tóth, survivant hongrois-juif de Buchenwald, qui émigre aux États-Unis pour rejoindre son cousin à Philadelphie dans l'espoir de reprendre sa vie.


Dès l’ouverture, le ton est donné : la statue de la Liberté… à l’envers. Une image marquante qui renverse d’emblée le mythe américain, comme un présage du destin brisé qui attend le personnage. Le film dépeint avec une précision glaçante la condition des Juifs dans l'après-guerre immédiat : mépris, exploitation, exclusion et antisémitisme normalisé.


László s'accroche à l'architecture comme à une ultime bouée de sauvetage, mais voit son rêve américain s'effriter face à une société qui ne le tolère que tant qu'il lui est utile.

À l'image de sa relation toxique avec la famille Van Buren qui n'est que l'incarnation du rapport de domination qui gangrène cette société capitaliste. Harrison Lee Van Buren interprété avec brio par Guy Pearce, qui, sous des airs de riche bienfaiteur, manipule, isole et détruit peu à peu son "protégé de génie".


Quand sa femme Erzsébet incarnée par l'excellente Felicity Jones, et sa nièce Zsófia rejoignent enfin László, une dynamique nouvelle s’installe. Mais László, rongé par son passé et par la folie de son art, sombre dans une spirale autodestructrice. Devenu toxicomane pour supporter la douleur de son passé et les humiliations qu'il endure, il sombre dans une dépendance qui devient à la fois sa malédiction et son refuge. La scène où, pour soulager les douleurs nocturnes de sa femme, il lui administre une dose d’héroïne qui manque de la tuer, est glaçante : un instant de bascule où le personnage laisse place à quelqu’un d’autre, un être consumé par sa propre descente aux enfers.


La photographie du film de Lol Crawley sublime cette fresque tragique, capturant avec subtilité l'Amérique de l'époque, la brutalité de l'après-guerre et la fragilité de ceux qui tentent de se reconstruire. Certains plans restent gravés en tête, comme autant de tableaux hantés.


Pendant 3h30, l'œuvre captive et laisse une empreinte indélébile. Le rythme, la mise en scène, les dialogues et l'écriture d'un scénario ciselé font de chaque scène un moment essentiel, porteur d'une vérité douloureuse mais nécessaire.


La descente aux enfers de László culmine dans une séquence bouleversante : le viol qu’il subit des mains de Van Buren. Un acte de domination ultime qui précipite un basculement.

Dans l’un des moments les plus forts du film, Erzsébet, qui retrouve symboliquement l'usage de ses jambes, confronte Harrison dans sa propriété pour faire éclater la vérité. Puis survient une ellipse qui laisse supposer son suicide, un dernier acte de lâcheté qui rappelle la fin de Once Upon a Time in America avec le destin funeste de Max. Un dernier acte de lâcheté et de honte pour cet homme qui se croyait intouchable.


Autre moment glaçant mais qui témoigne de la mise en scène de Corbet : une scène en apparence anodine où Zsófia, en maillot de bain, est rejointe par Harrison Lee Van Buren au bord d’un étang. Lorsqu’elle revient au pique-nique, elle est couverte d’une robe rouge.

Un simple détail de costume qui, sans un mot, laisse deviner l’indicible. Tout dans The Brutalist repose sur ces non-dits, sur cette violence sourde qui gangrène les personnages.


Cette scène, loin d'être anodine, illustre la violence systémique subie par ceux qui ne trouvent jamais leur place. Le film démontre avec puissance comment le traumatisme de la Shoah ne s'arrête pas avec la fin de la guerre, et en quittant l'Europe, mais se perpétue sous d'autres formes, dans d'autres territoires. Les personnages sont marqués à vie : László, hanté, souffre de troubles sexuels, Erzsébet a perdu l'usage de ses jambes, et Zsófia est mutique jusqu'à l'annonce de son Alyah pour Israël, la seule terre qui, à ses yeux, puisse encore accueillir les siens, à l'aube de la naissance de son premier enfant.


Le scénario est d'une intelligence rare, jouant sur des dialogues subtils qui laissent entrevoir les blessures des personnages. Chaque réplique semble pesée, chaque échange est porteur d'un poids historique et émotionnel profond. Les interactions entre László et Harrison sont fascinantes : à l'image d'une lutte silencieuse entre dominé et dominant, entre survie et pouvoir, entre mémoire et mépris.


Le film se referme sur une note amère mais essentielle : au crépuscule de sa vie, László est enfin célébré à la Biennale d'architecture de Venise. Son chef-d'œuvre, un centre communautaire, est révélé comme une réplique des camps de concentration qui l'ont détruit. Comme si, malgré l’exil, malgré le temps, son passé continuait de hanter chaque pierre qu’il posait. Un acte de mémoire, de résilience, mais aussi de folie. Car au final, comme il le dit lui-même : après les guerres, seuls les monuments restent.


The Brutalist est une œuvre brute, sans concession. Un film qui interroge, qui trouble, et qui met en lumière cette violence invisible qui ronge les âmes.  Une expérience de cinéma inoubliable.

Halan
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2025

Créée

il y a 7 jours

Critique lue 85 fois

Halan

Écrit par

Critique lue 85 fois

D'autres avis sur The Brutalist

The Brutalist
Szalinowski
6

Château de cartes en béton

The Brutalist est à l’image du courant architectural qu’il désigne : imposant, ambitieux, remarquable… mais froid. C’est au moment de sublimer les quelques trois heures passées en compagnie...

il y a 2 jours

The Brutalist
CineVerse
8

Critique de The Brutalist par CineVerse

Vertigineux comme très peu de films américains savent l’être, The Brutalist est une magistrale réflexion sur la vanité des hommes et la faillite du rêve américain. Classique dans sa structure et...

le 29 janv. 2025

The Brutalist
JorikVesperhaven
7

Monument de cinéma brutal.

Une œuvre issue du cinéma d’auteur de plus de trois heures et demie avec un entracte de quinze minutes semble une anomalie dans le paysage cinématographique et pourtant Brady Corbet l’a fait. Et on...

le 28 janv. 2025

Du même critique

L'Événement
Halan
7

La Solitude

Avec Never Rarely Sometimes Always sorti en 2020, Eliza Hittman nous rappelait que le droit à l'avortement n'est toujours pas un droit acquit pour les femmes même à notre époque. À travers l'histoire...

le 25 oct. 2023

5 j'aime

Killers of the Flower Moon
Halan
9

There Will Be Blood

Au crépuscule d'une carrière aussi fascinante que prodigieuse, qui nous a auréolé d'une filmographie déjà culte, Martin Scorsese, n'a pas encore dit son dernier mot et nous offre le film le plus fort...

le 15 nov. 2023

4 j'aime

3

1917
Halan
8

Une Prouesse

Après sa parenthèse consacrée à James Bond, Sam Mendes revient dans un tout autre registre pour rendre hommage à son grand-père avec ce film intitulé 1917, qui nous plonge au cœur de la Première...

le 25 oct. 2023

4 j'aime

3