Comme beaucoup, je pense, j’ai été attiré par la proposition singulière faite par ce The Brutalist. Un film de plus de 3h30 avec entracte, tourné en VistaVision, le tout en se référant directement par son titre à un courant architectural sans concession : voilà qui annonçait d'emblée le genre de choix d’auteur qui se font plutôt rares de nos jours. Voilà qui augurait a minima d’un film assumant une certaine forme de jusqu’au-boutisme ; a minima d’un geste artistique.
Alors oui, ce geste, il est bien là. On ne peut pas le louper. Dès l’intro, il s’affirme sur pas mal d’aspects. Cadre instable et étriqué, lieu confus, photographie sombre jusqu'à ce que, tout soudain, la statue de la liberté surgisse, tête à l'envers. Le cadre lui-même peine à retrouver ses sens et le temps que le héros s’engouffre dans un bus que – ça y est – le générique défile, de la droite vers la gauche, à la façon d'un déroulé microfilmique.
Tout surprend. On se dit qu’on va voir un film pas vraiment comme les autres. Et pourtant...
Pourtant – premier constat – le film s’assagit très vite et retrouve rapidement les conventions d’usage : narration linéaire, composition académique, performances d’acteurs mises au centre du dispositif. Étonnement, la chose ne s’est pas faite au détriment de mon intérêt, bien au contraire même. J’avoue d’ailleurs qu’il m’a fallu attendre ça pour commencer à vraiment me mettre dedans. Ça s’est fait en deux temps me concernant : d’abord en me laissant prendre par le duo rayonnant constitué autour d'Adrian Brody et d’Isaac de Bankolé, puis en me laissant prendre à nouveau par cet autre duo où Bankolé cède sa place à tout aussi merveilleux Guy Pierce.
Il lui aura donc fallu un certain temps, mais une fois ses enjeux installés, ce The Brutalist est parvenu à m'emmener, au point qu’à l’arrivée de l’entracte, j’avais hâte de voir où celui-ci comptait m’emmener…
Seulement voilà, ce second acte, c'est clairement celui qui va faire s'effondrer ce que le premier s'était pourtant évertué à édifier. Je trouve même d'ailleurs saisissant à quel point le naufrage s'opérera sur ce que ce film dresse pourtant comme un étendard : le brutalisme.
Parce que, pour rappel, le brutalisme, à la base, ça désigne un courant architectural qui entendait revenir à la force primitive des volumes en arborant fièrement un béton brut mis à nu ; se détachant de fait de toute fioriture superflu. Or, plus le film avance dans l'édification de son ouvrage, symbolique comme matériel, et plus l'auteur Bradley Corbet s'éloigne du principe même de brutalisme en ajoutant et rajoutant encore de la fioriture afin qu’on comprenne bien là où il veut en venir. Et alors qu’il avait la possibilité de juste se taire et de nous donner à voir, Corbet surligne jusqu’à plus soif, au point que toute sa dernière demi-heure passe son temps à bien verbaliser ce que le film s’était jusqu’alors bien gardé d'expliciter.
Cette remarque est notamment valable pour cette idée d'antisémitisme rampant qui opprime Laszlo, tout comme c’est aussi le cas pour les agressions sexuelles commises par les Van Buren.
En cela, le final s’impose d'ailleurs comme une abominable outrance, tant l’auteur en vient littéralement à lire le cartel de sa propre œuvre.
Parce que oui, pour les non-voyants du fond de la salle qui n’auraient pas bien vu les clins d’œil insistants du film : le brutalisme de Laszlo ne faisait en fait qu’exprimer la brutalité de cette Shoah que son auteur a subi et qui la suit partout, y compris dans l’antisémitisme larvé de la société américaine. Alors certes, dire ça, c’est un chouilla détourner l’essence même du brutalisme mais, visiblement, Bradley Corbet semble s'en contrefoutre, tant il apparait à ce moment bien plus soucieux de faire la promotion de l’Aliyah plutôt que d'autre chose.
Et voilà donc comment, au bout du compte, j’en suis arrivé à ce bilan presque surréaliste concernant ce film. En fait, qu’il s’agisse aussi bien de la durée, que du format, que du sujet, rien au bout du compte n’aura été particulièrement justifié. Tout ça au fond n’était que de l’apparat pour un film en définitive très classique au service d'un propos fort simple, pour ne pas dire fort simpliste.
D’ailleurs – et étonnamment – c’est pour tout l’inverse de ce qu’il prétendait être que j’ai pu trouver de l’intérêt à voir ce film : pour sa galerie d’acteurs exceptionnelle ; pour ce classicisme permettant d’aboutir parfois à de belles compositions formelles ; pour cette première partie qui, à elle seule, constitue un bien meilleur film que ce The Brutalist en son entier.
Malgré tout, je ne vais pas vous mentir non plus : m'en tenir à ce bilan mitigé relève clairement de l'effort tant je peine à contenir une sincère aigreur. L’aigreur de voir l’esprit de cette époque contaminer tout, y compris les œuvres qui aspirent à frayer en marge des courants dominants. L’aigreur de se voir tout expliquer, tout le temps, pour nous asséner en plus de ça des discours moralisateurs aux conclusions simplistes. J’en ai franchement marre qu’on nous prenne pour des cons. J’ai ai franchement marre de cette hégémonie de l’univoque. Qu’on dénude pour de bon l’art pour ce qu’il a de trop et qu’on le rhabille pour ce qu’il a de plus essentiel et de plus brut : cette part laissée au sens et à l’intelligence de celui à qui il s’adresse.