The Brutalist
7.5
The Brutalist

Film de Brady Corbet (2024)

László au pays des méchants Américains !

Ce film, à peine sorti de la salle de montage, a reçu une avalanche d'éloges, de superlatifs, de comparaisons glorieuses aux plus grands chefs-d'œuvre incontestés du septième art, tout en ayant le droit à son gros lot de récompenses parmi les plus prestigieuses. Est-ce mérité selon moi, selon mon avis bien personnel qui n'engage que moi ? Non, absolument pas.


Alors, je tiens quand même à débuter sur du gros positif. Des points de vue des décors, de la photographique, des costumes, bref, de la mise en scène visuelle et technique en général, cela en dégage pas mal. Il y a une telle ampleur dans tout ceci, un tel degré de grandeur (accentué, évidemment, par l'utilisation du VistaVision !) que j'ai été complètement estomaqué quand j'ai appris que le budget d'ensemble était de moins de dix millions de dollars et que le tournage a juste duré un mois et demi. On m'aurait dit que le tournage de ce film (avec les lourdes contraintes qu'une reconstitution d'une période passée depuis un bon moment implique !) avait duré six mois, avec un budget de cent millions, je l'aurais cru volontiers. Mais, cependant, toujours sur la mise en scène, niveau maquillages, si on fait abstraction de la toute fin, les personnages ont la capacité impressionnante de ne pas prendre la plus petite ride.


Bon, on suit pendant trois heures et trente-cinq minutes (merci, au passage, à Brady Corbet, que je n'avais jamais croisé jusqu'ici en tant que cinéaste, d'avoir pensé aux limites de la vessie de son spectateur, en intégrant, entre les deux grandes parties constituant le plus gros morceau du tout, un entracte d'exactement un quart d'heure, compte à rebours affiché à l'écran inclus !)... je reprends, on suit pendant trois heures et trente-cinq minutes le cauchemar américain (l'image de la statue de la Liberté à l'envers, apparaissant au début, est suffisamment annonciatrice !) d'un juif hongrois, nommé László Toth, rescapé de la Shoah, génie de l'architecture.


La première moitié (celle avant d'aller pisser !) se tient à peu près, en prenant le temps de développer les personnages et les situations. En revanche, quelle est l'utilité de balancer une information importante au spectateur dès la première séquence pour le faire à nouveau, quelques minutes plus loin, cette fois, pour mettre au courant le protagoniste ? Je pense que cela aurait été émotionnellement plus fort pour le spectateur d'apprendre en même temps que le personnage principal que ses proches (à savoir son épouse et sa nièce !) ont, eux aussi, survécu à l'Horreur.


Par contre, la deuxième partie est entièrement ratée selon moi.


Déjà, elle est complètement rushée, en comparaison de la première, ce qui crée un déséquilibre dans le rythme assez gênant. Elle essaye de faire compresser un maximum de rebondissements en un minimum de temps. Ce qui fait, en conséquence, que certains personnages et certaines thématiques n'ont pas le temps d'exister, d'avoir la moindre raison d'être dans l'intrigue. Par exemple, le fils de riche, connard et arrogant, interprété par Joe Alwyn, qui avait une utilité incontestable pour bouleverser le destin de notre architecte dans la première partie, se contente ici de sporadiquement apparaître, seulement pour rappeler, à chaque fois, qu'il est un méchant très méchant et qu'il adore faire du mal aux gentils très gentils. Et c'est sympa de la part de Stacy Martin d'avoir accepté d'être une quasi-figurante. La toxicomanie du László ne fait acte de présence que quand ça arrange le scénario. Et le mutisme de la nièce, quant à lui, a décidé d'être aux abonnés absents.


Ensuite, c'est misérabiliste à donf du début jusqu'à la fin de cette fichue seconde partie. Il ne lui arrive que des grosses merdes à ce malheureux, qui, d'un coup, n'a plus de personnalité bien définie, se contentant que de pratiquement afficher une tronche de chien battu tout du long. Visiblement, il ne croise jamais la route d'un Américain masculin, de type caucasien, non juif, qui soit un minimum bienveillant à son égard. Lors de la grosse ellipse de cinq ans, lors de laquelle il travaille dans un grand cabinet d'architecture à New York, il n'a pas réussi à faire connaissance avec des gens sympas ? Puisqu'il trouve qu'il n'y a rien de bien dans son pays d'accueil, pourquoi le personnage principal ne prend pas plus vite un aller simple pour Israël ? Je ne conteste pas du tout qu'un juif hongrois, survivant de la Shoah (ou un étranger en général, car on peut élargir le propos du long-métrage !), puisse ne pas se sentir à sa place dans un territoire qu'il considère (pour des raisons légitimes !) lui être hostile, mais il y avait besoin de forcer le trait avec une aussi complète absence de subtilité et de nuance ?


Dans cette optique, il y a une séquence, sortie de totalement nulle part (car il n'y a pas eu, auparavant, de comportement de l'ordre du concupiscent de la part de l'antagoniste en question !), qui enfonce bien le clou (enfoncer est le verbe approprié, croyez-moi !), comme quoi les Amerloques blancs, dénués de judaïté, ils ne sont vraiment pas gentils, en martelant que le riche homme d'affaires, le méchant ultime du game, incarné par Guy Pearce, est la pire enflure du monde et qu'il considère le protagoniste comme sa créature. Ouais, ce n'est pas comme si on ne l'avait pas déjà compris depuis dix plombes. Pas besoin de l'autre lourdeur bien démonstrative pour mettre en exergue symboliquement que, ô combien, le puissant écrase le misérable. C'est bon, Brady, tu l'avais déjà surligné mille fois, bordel. Je sais que certains vont me répondre que ça provoque une cassure psychologique chez László. C'est vrai, mais je pense que c'est surtout une facilité pour accélérer vers la fin (oui, quand je vous dis que la seconde partie est très rushée par rapport à la première… !).


Et je ne préfère pas m'étendre sur le fait que le personnage de l'épouse (qui ne servait pas réellement à grand-chose dans l'histoire jusqu'ici !) puisse, après avoir appris le viol, retrouver miraculeusement l'usage de ses jambes (ouais, elle a attendu ce moment bien précis et pas un autre pour le faire... oh bordel, qu'est-ce que c'est téléphoné !) et nous sortir le poncif de la grande scène vibrante, bien hollywoodienne, de la remise à sa place du méchant ultime du game.


Et dernière chose, autant dans la première partie, avec le cousin, étant donné que celui-ci s'est américanisé à fond (ce qui fait, dans la logique de fond du film, qu'il devient obligatoirement un enfoiré !), je conçois que cet aspect soit crédible, autant je trouve complètement invraisemblable, dans la seconde partie, que le personnage principal et sa femme, lorsqu'ils sont seuls ou avec leur nièce, passé deux-trois répliques en hongrois pour la forme, conversent, entre eux, exclusivement en anglais. J'y vois une grosse paresse du fait que les acteurs principaux ne parlent pas hongrois (du moins, comme des natifs, en ce qui concerne Adrien Brody !). Une petite dose supplémentaire d'IA aurait peut-être arrangé le truc, non ?


Pour conclure, formellement, The Brutalist a d'incontestables admirables qualités, sur l'intrigue et sur le fond, bof.


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