On en fait encore, des films comme ça? C’est encore permis? Il y a encore des gens pour financer (A24, ça fait peur) et voir des films “épiques”, alors qu’on avait laissé ça derrière après “There Will Be Blood”? Le triste nadir de Coppola laissait entendre que ce n’était plus possible, et pourtant…
Corbet a fait une ode à l’ambition artistique – la propre tentative de l’acteur devenu réalisateur de réaliser un film grandiloquent et l’ambition propre de son protagoniste Laszlo Toth (Adrien Brody), un réfugié de l’oppression nazie. Toth émigre aux États-Unis, où il reprend sa carrière d'architecte. Le succès de Toth vient au service du mal qui, selon Corbet, est la base de la civilisation occidentale : Corbet cite l’épigramme de Goethe : « Nul n’est plus désespérément esclave que ceux qui croient faussement qu’ils sont libres. »
Le premier chapitre de The Brutalist, « L'énigme de l'arrivée » débute par un plan inversé de la Statue de la Liberté : la vue de Toth depuis l'entrepont alors qu'il se dirigeait vers Ellis Island en 1947. C'est une ellipse forte, mais à travers l'abus par Corbet de la composition en 70 mm, un format de cinéma autrefois grandiose qu'il réduit à un format carré avec un éclairage terne, presque monochrome, on a une impression d'une reductive, l'échelle humaine et l'échelle civilisationnelle des plans de Griffith dans l'intolérance (pas aussi bien que Griffith, mais quand même)
La petitesse corporelle dans un sanctuaire tant vanté (coïncidant avec le vrai Laszlo Tooth, le zinzin qui s’en est pris à la Pietà en 1972)
Sauf que, contrairement au protagoniste Randien Howard Roark dans “La Source Vive”, qui défendait le droit de l’artiste à l’intégrité individuelle, la psychose de Toth découle d’une vision pessimiste de l’histoire guidée par le traumatisme. La notoriété de Toth et sa victimisation découlent du flirt de Corbet avec le déterminisme comme essence de la civilisation, car on a là un film sensiblement sioniste, un sentiment d’espoir d’une promesse à l’aube que le film communique par diégèse - la constitution de l’État d’Israël comme réponse à la dispersion de l’identité juive européenne. C’est certainement un parti pris, car je ne croyais pas que ça soit possible avec A24, qui ont distribué une merde aussi consensuelle, un des pires films (et pas seulement de l’année) avec “Civil War”.
J’aime bien la lumière dans le film, comment elle embrasse l’espace. Espérant que le ciel bleu immaculé déteindrait à l'image sur le béton lépreux, prématurément vieilli des tours modernistes. Les cadrages avec des angles tranchés, où on ressent le vertige des espaces, où on réfléchit la lumière, je ne crois pas qu’on a eu droit à un usage aussi pensé du VistaVision.
Bien sûr, le film souffre des mêmes défauts que ceux des “épiques” qui le précèdent - en faire trop, être constamment dans une surenchère esthétique qui, à la longue, tire vers le mauvais goût, les sous-textes ampoulés et mal abordés (c’était pertinent de faire une anecdote facile sur les pouvoirs coloniaux occidentaux avec le personnage joué par Isaach de Bankolé? Ou d’avoir une métaphore assommante pour conclusion? Le personnage de la femme d'un cousin? Les viols en tout genre? Faire dire à la bonne femme invalide « Ce pays tout entier est pourri ! », oubliant apparemment qu’elle a échappé de justesse aux chambres à gaz européennes?) Le film met tous les dispositifs en œuvre pour faire du personnage principal une sorte d’opprimé, alors que tous les grands modernistes étaient fêtés immédiatement après leur arrivée aux États-Unis. Je crois qu’il aurait été mieux de s’en tenir à ça plutôt que d’en faire des tonnes pour élever les brutalistes comme trop iconoclastes.
Example; Finalement, on révèle que l’architecte survivant de l’Holocauste a conçu sa chapelle chrétienne en béton de Pennsylvanie en se basant sur les dimensions du camp de concentration nazi auquel il avait survécu. Le coup de grâce de Corbet est un épilogue qui se déroule lors de la première biennale d’architecture en 1980, vantant Toth comme un pionnier dont l’ambition « définit une époque et transcende tous les temps ». Le plan final se déroule depuis l’intérieur d’une des structures ressemblant à une prison de Toth pour révéler son utilisation de l’espace négatif dans la conception d’une croix inversée lumineuse.
Mais s’agit-il là d’une vengeance de Corbet contre les chrétiens, même contre les goys d’une petite ville de Pennsylvanie qui avaient aidé l’architecte juif à survivre à Buchenwald en battant les nazis pour le héros ? Ou s’agit-il du commentaire subversif de Corbet sur la façon dont l’architecture est devenue un enfer en 1945 ?
> Qui sait ?
Eh bien, je le sais, car un personnage vient sur scène et t’explique littéralement tout avant. As-tu bien compris, ducon?
Ruskin résumait déjà tout le film quand il disait « Nous pouvons vivre sans elle [architecture] et adorer sans elle, mais nous ne pouvons pas nous souvenir sans elle. »
Le film lui-même te résume bien tout ce qu’il faut en tirer en détails, et ce n’est pas la séparation de Laszlo avec sa femme qui donne de l’importance au film, plutôt le contraire, car ça n’a aucune importance durant toute la meilleure première partie du film.
Le profil de Corbet dans le New Yorker était déjà un mauvais présage, l’entraîner dans le Panthéon du cinéma en interprétant The Brutalist comme une allégorie anti-Trump post-électorale donnait autant envie que de voir un spectacle d’humour qui se vante d’être de gauche et “inclusif”. Bon, au moins, ce n’est pas le cas. Je ne crois pas que la gauche aimera les positions politiques du film, mais ce n’est pas non plus très subtil ou bien amené. Griffith disait qu’il fallait amener le public à penser à son insu en oubliant son train-train quotidien, pas en faire un boucan assourdissant.
Je me passe également de mentionner encore le dernier quart d’heure, qui est effarant d’inepties et fait presque oublier les 185 premières minutes. Et aussi de la scène absurde dans laquelle le capitaliste WASP de 57 ans viole l'architecte juif de 51 ans tout en le traitant de “youpin”. Doit-on voir ça comme un analogue à la carrière d’enfant acteur à Hollywood de son auteur et réalisateur?
Est-ce nécessaire désormais, la laideur poussive et de la psychanalyse pour faire un film qui gagne des prix?
Dans l'ensemble, c'est un bon film qui rehausse la moyenne d'une des pires années en matière de cinéma, mais j'aurais de loin préféré que les conflits entre les personnages soient davantage une question d'esthétique que de « conflits ethniques subtils ». En fin de compte, ce film indique toujours un Hollywood malsain obsédé par la race et l’origine ethnique. Je préfère nettement les “épiques” faits avant cette nouvelle lubie, des “There Will Be Blood”, “JFK”, même Magnolia” (sauf si je le revois). Le film a fondamentalement raison sur ce qui motive le brutalisme, à mon avis. Donc, si c’est déjà quelque chose, ça m’a aidé à comprendre que le brutalisme, c’est un peu souvent de la fumisterie, non?