Avec son 3ème long-métrage en tant que réalisateur, Brady Corbet a maturé pendant plus de sept ans cette fresque gargantuesque dont il pense sans doute que c'est le film de sa vie. (Peut-être quand on voit les récompenses qui pleuvent et ses 10 nominations aux Oscars)
J'ai vu ce film comme le biopic imaginaire du grand architecte d'origine hongroise victime de la Shoah László Tóth, rescapé de Buchenwald, immigré aux Etats Unis où il va connaître à la fois les grandes joies de la reconnaissance de ses talents d'artiste mais aussi la solitude et les terribles désillusions de la condition d'émigré juif aux Etats-Unis, pays qui s'est pourtant construit avec des gens venus d'ailleurs et surtout d'Europe. (Aucun architecte brutaliste n'a connu un tel parcours, même s'il fait penser à celui de Marcel Breuer, hongrois émigré aux Etats-Unis avant la guerre).
L'avantage d'un biopic fictif (ici sur plusieurs décennies) est de pouvoir dire ce qu'on veut sur l'artiste dont on parcourt la vie, mais le risque est aussi de dire n'importe quoi ou bien de vouloir être trop gourmand sur les sujets abordés, dérives auxquelles Brady Corbet s'est hélas livré, en cosignant le scénario avec sa femme Mona Fastvold, dans un film austère et sombre, tourné en format VistaVision, avec cependant des longueurs qui font de sa durée un vrai handicap.
En fait ce sont véritablement deux métrages juxtaposés de plus d'1h40 (Ouverture + Partie 1 - l'énigme de l'arrivée) et (Partie 2 - La dureté de la beauté + Epilogue), séparés par une entracte de 15' sur un plan fixe avec une musique morne qui fait sortir du film.
Et de Brutalisme, on ne parle quasiment pas (euphémisme en écho à la brutalité du film ?), sauf dans l'épilogue, mais plutôt de la construction d'un énorme monument de béton, cet institut peu esthétique (!), qui cristallise en fait le côté Monumental du film annoncé sur son affiche.
Pourtant cette œuvre ne manque pas de qualités. Surtout celles de l'acteur jouant le rôle titre : Adrien Brody, qui fait sien le personnage complexe et marqué à vie de l'architecte László Tóth, amené hélas à se droguer, en illuminant la partie 1 par son combat pour refaire sa vie dans une Amérique prometteuse mais tellement en trompe l'œil ! A commencer par ce cousin qu'il rejoint à Philadelphie, ce marchand de meubles qui fait tout pour oublier, avec sa femme, ses origines juives; ils finissent par le renvoyer au moment où son travail est fortement désapprouvé par le richissime industriel Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce est impeccable dans le rôle caricatural de l'entrepreneur américain). Mais après une douloureuse traversée du désert de plusieurs années faites de travaux harassants, Harrison vient rechercher László quand il découvre qu'il était un architecte reconnu en Europe avant la guerre, et lui confie l'édification de ce vaste centre communautaire, en souvenir de sa mère, voyant ainsi surtout ses intérêts.
Hélas, l'entracte qui survient fait retomber le soufflé de cette très bonne première partie.
Pourtant avec enfin l'arrivée de sa femme Erzsébet (excellemment jouée par Felicity Jones) et de sa nièce Zsófia, la deuxième partie commence bien, mais son rythme s'enlise vite avec les problèmes financiers liées à la construction du monument, le positionnement par Harrison d'un architecte concurrent pour réduire les coûts et un accident tragique qui fait arrêter les travaux.
En parallèle, le réalisateur nous emmène, certes avec une certaine justesse, dans les relations tumultueuses et passionnées du couple László Erzsébet, leur mal-être et les maladies consécutives à leur enfermement en camp de concentration, qui se double de leur questionnement familial sur leur éventuelle Aliyah (émigration en terre d'Israël).
Malgré tout, le chantier finissant par reprendre, Harrison et László font un déplacement à Carrare en Italie pour choisir du marbre, où László se fait agresser d'une manière assez incompréhensible (sauf pour faire la sensation dans la course aux Oscars ?), ce que va révéler sa femme à Harrison et sa famille en fin de film. Cette agression est la goutte d'eau qui m'a fait plutôt détester cette deuxième partie qui embrasse trop large.
Au fond on peut se demander si Brady Corbet n'aurait pas dû faire The Brutalist 1 puis The Brutalist 2, à l'instar des récents Dune ou Les trois mousquetaires, ou bien de condenser le tout sur 2h30-3h maximum, sans entracte, en élaguant certains sujets, voire en supprimant l'épilogue dont certains détails intéressants sur la structure du monument auraient pu être distillés en cours de film.
Mais à chacun son ressenti suite à un visionnage que je recommande par l'intensité et à certains moments la beauté du parcours de vie qui est raconté.