La compatibilité de l’écrivain Bret Easton Ellis avec le scénariste/réalisateur Paul Schrader n’était pas assurée d’avance. L’échec monumental du Cartel de Ridley Scott l’an passé (écrit par Cormac McCarthy) pouvait très bien se répéter. Loin d’être l’œuvre culte sous entendue par la bande annonce et son casting, The Canyons peut tout de même se voir comme une critique virulente envers Hollywood, ses démons, et l’occupation de jeunesse américaine d’aujourd’hui. Lorgnant vers la fable noire 100% nihiliste, le film de Bret Easton Ellis (car c’est clairement de son univers qu’il s’agit ici) assène une atmosphère déprimante et glaciale dans un monde pathétique et régressif, laissant transparaître une humanité gélatineuse faite de toc.
Tara (Lindsay Lohan) mène une vie sans but : faire l’amour avec Christian (James Deen) et Ryan (Nolan Gerard Funk) traduit l’unique moment où son existence paraît trouver du sens. Se sentant utile et en adéquation parfaite avec le désir des hommes, Tara est obsédé par cette idée d’un amour mort, dont elle bavarde longuement avec sa copine Cynthia (Tenille Houston). Ces conversations, agaçantes et stupides, appuient cet effet de déambulation en spirale, où le parcours de chacun s’entrecroise sans pour autant provoquer de violentes collisions. Ce que The Canyons apporte de plus à la récente pitoyable adaptation de Roger Avary d’un roman d’Ellis (Les lois de l’attraction), est cette dramatisation des évènements amenée de manière angoissante, créant un suspense précisément là où il serait impossible d’en donner naissance. The Canyons débute comme un grand film d’atmosphère, dans un Los Angeles fantomatique où Hollywood brûle à petit feu. Par une musique électro discrète et planante, Schrader introduit cet aspect à la fois cool et terriblement vide de sens de la jeunesse américaine du siècle. Il suffit de voir ces magnifiques plans sur Christian roulant dans son bolide, se rendant chez Cynthia, et sortant de sa voiture en se prenant pour un dieu grec, veste et jean noir avec lunettes de soleil assortis. Dès lors, si le regard porté sur cette tranche d’âge paraît innocent et ridicule, la suite du film en démontre pourtant le contraire, avec une insolence exposant une détérioration progressive de l’âme de ces jeunes que nous suivons avec un profond sentiment d’angoisse.
Le film aspire ainsi à la monstration d'une vérité, d'un témoignage propre et cohérent à la vie réelle. Ellis n’a d’ailleurs pas l’ambition d’écrire un scénario aussi littéraire que ses œuvres. Car la thématique du cinéma est bien entendu un socle fondamental sur lequel se déroule cette odyssée cancérigène. The Canyons s’ouvre et se clôt par des plans à l’esthétique très laide d’une salle de cinéma ravagée, dans un monde post apocalyptique. Le sujet même de l’intrigue, quant à lui, parle d’un film en devenir. On pourrait même y déceler une subtile mise en abîme lorsque Christian annonce que l’humanité n’est qu’une foule d’acteurs jouant toutes sortes de rôles, s’éloignant parfois lointainement de la personnalité propre à chacun de nous. Cette croyance va ainsi mener Christian à changer sa fonction vitale intrinsèque : ne voulant plus jouer l’acteur dans la spirale, c’est le rôle du réalisateur que le jeune homme va chercher à atteindre, contrôlant cruellement ses amis et sa fiancée, par son esprit hautain et supérieur. Ellis justifie alors que cette humanité maladive qu’il décrit peut s’exacerber jusqu’à devenir monstrueuse et d’une violence engendrée par le sexe et les nouvelles technologies. Le personnage interprété par James Deen pourrait d’ailleurs faire écho à celui de Robert de Niro dans Taxi Driver (écrit par Schrader), dans une époque contemporaine mêlant sexe, argent et facebook.
Il manque malheureusement à cette œuvre une mise en scène plus âpre et immersive, afin d’impliquer davantage le spectateur étranger à la philosophie de l’écrivain. Bien que cet esthétique propre nuance habilement les paroles et les actions sales de l’entourage de Tara, un découpage moins saccadé aurait traduit d'une meilleure façon la lente évolution de ces personnages à peine perceptible. Toutefois, qui de nos jours à la faculté de présenter cette vie mortuaire avec autant de vérité, de violence et de tristesse ? Roger Avary et ses effets de style outranciers ne produisaient que du faux, de l’ennui et un désintérêt total de la théorie nihiliste de l’auteur. Puisse le tandem Schrader/Ellis répéter plus habilement cette expérience aux bases solides mais à la réalisation passable, pour enfin mettre en images dignement l’univers littéraire du grand monsieur.