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Christian sort avec Tara, qui couche avec Ryan qui lui sort avec Gina, ex-compagne de Christian et nouvelle assistante de production de ce dernier sur un projet fauché de slasher en préparation au Nouveau Mexique dans lequel Ryan vient de décrocher un rôle. Grâce à Tara. Vous suivez? Peu importe: tout ce beau monde couche, recouche et découche, dans la joie et la bonne humeur, certes pas, mais avec un entrain communicatif, tout du moins. Relativement généreux sur le full frontal d'acteurs pornos recyclés à cent dollars la journée de tournage, The Canyons n'en reste pas moins dangereusement inoffensif dans sa démonstration un brin réac de la sexualité déviante, syndrome "Shame" à l'appui: actes d'amour hétérosexuels baignés de lumière divine dans petits pavillons de banlieue, partouzes bisexuelles dans la semi-pénombre inquiétante de villas Hollywoodienne tapageuses; Bret Easton Ellis vomit de ses entrailles les mêmes éternelles chroniques du désenchantement et du déséquilibre psychique (grossièrement limité, une fois n'est pas coutume, aux pulsions meurtrières d'une poignée de golden boy bien sapés), et Paul Schrader en enfonce tout d'un coup portes et fenêtres de ses gros sabots de cinéaste de la décadence contemporaine. Rien n'est épargné au spectateur affolé: images de cinémas désaffectés, mise-en-abyme méta-cinématographiques et cinéaste recyclé en girouette de la jeunesse égarée se mêlent comme dans un songe aux poncifs savamment alignés du thriller psycho-sexuel des années quatre-vingt dix.
Il y a pourtant de la lumière dans The Canyons, une confrontation presque symbolique entre rêve et réalité que Lindsay Lohan incarne avec une maladresse d'autant plus touchante qu'elle caractérise son rôle. De comédies médiocres en biopics ringards, prise à tort pour ce qu'elle n'est pas -une incarnation du romanesque- elle trouve enfin le rôle de sa vie, littéralement, puisqu'il n'y a plus tant de Tara lorsque Lindsay l'incarne. Regard fatigué, visage boursouflé, voix éraillée; l'incandescence de la jeune femme semble entrer en conflit permanent avec le manichéisme risible et involontaire du scénario de Bret Easton Ellis et les trop rares idées de mise en scène de Paul Schrader, deux coquetteries pompeuses en décalage absolu avec ce dénuement du jeu, et dont le frottement entraîne une cristallisation magnétique de la pellicule.
C'est perdue et renvoyée du projet avant même le début du tournage que Lindsay Lohan est venue trouver Paul Schrader en larmes afin de le supplier de la reprendre. La première y a trouvé ce qu'elle est venue chercher - un rachat en règle après son imposture dans le téléfilm Liz & Dick; le second ce qu'il ne devait plus attendre - une âme pour son long-métrage à la dérive. Car si The Canyons souffre mortellement de son scénario cliché et atone, qui devrait en toute logique éloigner encore un peu plus Bret Easton Ellis des bancs d'Hollywood, le coup fatal semble lui être porté de toute part par son formalisme frelaté, qui, de sa photo absolument infâme (les blancs sont exagérés en extérieur, la mise au point complètement hasardeuse, la cohérence colorimétrique inexistante) à son mixage sonore pour le moins atypique (intérieur jour, toutes fenêtres fermées, une bande son d'oiseaux chantonnant dans la nature à fond les ballons, cherchez l'intrus), provoque bel et bien le malaise, mais pas pour les raisons escomptées. Inutile de s'épancher enfin sur la qualité globale du casting, visiblement échappé d'un sombre DTV tant son intégralité se casse la gueule à chaque scène (que quelqu'un dise à James Deen de prendre des cours de diction, merci), à l'exception notable et sus-citée de Lindsay Lohan. Et passé la controverse, The Canyons de n'apparaître plus que comme l'excroissance malade d'un certain cinéma américain, tout à la fois perdu entre divertissement et introspection, provocation et mélancolie; un objet de désir paradoxalement aussi mauvais que fascinant, pas tant pour la décadence qu'il décrit - mais pour celle qu'il incarne.