Philippe Etcheworst

Après un très bon cru en 2021, l'année 2022 s'annonce appétissante d'un point de vue cinéma, avec beaucoup de sorties en ce mois de janvier que je surveillais comme le lait sur le feu. Pourtant c'est ce The Chef sorti de nulle part qui m'a pour l'instant fait la meilleure impression.

On y suit un chef de cuisine devant jongler entre les problèmes de sa vie personnelle, la gestion des conflits au sein du restaurant et les tracasseries administratives (critiques gastronomiques, inspections d'hygiène...), le tout au cours d'une seule soirée. Peut-être aurait-il mieux fait de rester couché ce jour-là.
L'originalité du film, c'est qu'il est entièrement tourné en plan séquence. Pendant toute la durée du service, la caméra suit ses personnages (généralement le chef, mais elle s'accorde fréquemment des intermèdes auprès d'autres membres de l'équipe, comme une serveuse ou un plongeur) et nous fait entrer dans leurs univers et leurs problématiques de façon assez brute. Beaucoup de problématiques sont abordées, souvent survolées (envies suicidaires, pistonnage, drogue...), ce qui m'a rappelé mes jeunes années de service dans un restaurant. Lorsque tout le monde est sous tension et court dans tous les sens pour livrer son plat, on n'a pas le temps de se préoccuper du bien-être de ses collègues de travail, qui ont pourtant tous leur part d'ombre. Cette atmosphère est très bien retranscrite ici.

D'ailleurs, même si la caméra s'attarde peu sur les clients, elle réussit toujours à les introduire avec une scène marquante, qui fait qu'on n'a même plus besoin de les recontextualiser plus tard. On sait quand on parle de la table 13 qu'il s'agit du jeune couple, que la table 7 c'est le casse-couille à moitié raciste, etc.
Il y a également un beau jeu avec le hors-champ qui est bien exploité par le cinéaste et permet des ellipses temporelles monstrueuses pour fluidifier la narration. Ainsi, on s'épargne la scène d'ouverture des portes du restaurant, celui-ci se remplit pendant une scène se déroulant dans la cuisine. Puisque tout est filmé en plan séquence, on se rend compte de la tension qui monte dans le restaurant alors que tout ça se passe finalement en arrière-plan.

Au final, ce sont plutôt les scènes consacrées au chef qui sont les moins marquantes. Sans être inintéressantes, elles ont tendance à se répéter (on voit au moins 3 fois un coup de fil à son gamin, c'est bon, on a compris que tu l'aimais !) et il est vrai qu'on peut se dire que ce bonhomme n'a vraiment pas de chance puisque toutes les merdes possibles lui tombent dessus le même soir.

Mais que ce soit pour l'exercice de style, la brillante montée en tension de l'intrigue ou la galerie de personnages attachants que l'on rencontre, ce film mérite le détour. Dommage qu'il ne dure qu'une petite heure et demie, j'en aurais volontiers repris une bonne tranche !