L'ombre de la catastrophe

A sa sortie en 2008, il a été clair que "The Dark Knight" était un film important, impressionnant souvent, parce qu'il affrontait avec pertinence et honnêteté les questions morales et politiques dans lesquelles se débattait alors l'Amérique depuis le 11 Sept, et que l'ombre de la catastrophe planait, effroyable et tétanisante sur quasiment chacune de ses scènes : le mélange de noirceur apocalyptique et de questionnement fiévreux sur le rôle de chacun - institution ou individu - face au désastre du terrorisme en faisait une affirmation politique lucide et forte, étonnante qui plus est dans le contexte d'un film de divertissement.

Mais la mise en scène de Christopher Nolan, même si l'on peut toujours regretter qu'elle sacrifie par trop à la fragmentation des plans et à une rapidité excessive, atteignait ici une sombre grandeur qui élevait clairement le film au dessus de son "genre", et sa direction d'acteurs était impeccable : l'impression de fièvre et d'horreur qui plombe le film vient beaucoup de l'intensité qui se dégage du jeu d'un Heath Ledger - bien sûr -, mais aussi de la sobriété d'un casting qui joue tout en retenue.

La rançon de l'ambition de Christopher Nolan (à moins qu'il ne soit agit d'un complexe vis à vis d'une série TV comme "24", qui triomphait encore à l'époque, sur des sujets assez similaires...), est que le film s'avérait régulièrement frustrant, du fait d'un scénario qui faisait rentrer de force au moins deux films dans un, s'obligeant à cavaler constamment entre une intrigue foisonnante et une multitude de personnages passionnants et trop vite esquissés. Du coup, on a du mal à se débarrasser d'un sentiment de confusion générale (en dépit de la maîtrise de la mise en scène), du fait de l'enchaînement épuisant de scènes fortes, qui, sans bénéficier d'un cadre assez strict comme ce sera par exemple ensuite le cas avec "Inception", ont tendance à s'annuler, voire à jouer les unes contre les autres.

Il y a énormément de bonnes choses dans "The Dark Knight", il manque seulement un meilleur scénario, mieux construit, pour mettre mieux en valeur tous les éléments du film, et en faire un vrai "chef d'œuvre"...

[Critique écrite en 2021, à partir de notes prises en 2008 et 2012]