L'Ange Noir
Reprenant là où Begins s'arrêtait, The Dark Knight nous replonge dans un Gotham avide, rongé de l'intérieur, toujours en proie à la criminalité et la corruption malgré les événements passés, mais...
le 1 nov. 2014
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Rassurés par l’accueil chaleureux réservé tant par le public que par les critiques à l’égard de Batman Begins, la Warner et Nolan rempilent sur un second opus plein d’ambitions.
Si Goyer avait déjà des plans pour deux films supplémentaires, c’est seulement lorsque Jonathan Nolan planche sur le projet, officiellement lancé et titré The Dark Knight, que l’intrigue se précise.
La fin de Begins laissait peu de place au doute : on allait enfin retrouver le Joker. Restait encore à savoir qui allait porter ce lourd fardeau et emboiter le pas à Jack Nicholson, quasi 20 ans après le Batman de Burton.
Paul Bettany, Willem Dafoe, Steve Carell, Mark Hamill, ou encore Crispin Glover sont envisagés, mais le dévolu est jeté sur Heath Ledger, 27 ans au moment du tournage (je me sens vieux). Ce dernier se lance à corps perdu dans le rôle, s’isolant pendant des semaines pour mieux se mettre dans la peau du fou de Gotham. Le souci ? Heath était un être visiblement déjà torturé, si bien que, si l’on ne pourra pas clairement imputer les conséquences à sa prestation dans TDK, il est retrouvé mort d’overdose après le tournage, sa santé probablement aggravée par son investissement dans ce dernier. Le temps nous le montrera bien assez vite : il était vraiment possédé pour le rôle, et l’industrie le reconnaitra sans hésiter.
Je me rappelle encore du matin du jour de sa sortie où, déterminé, j’avais quitté ma petite banlieue pour aller jusqu’à Paris Montparnasse pour l’y découvrir en VO dans un cinéma qui était à moitié en travaux. J’étais si impatient de découvrir le film, et j’étais ressorti de la séance si satisfait. Il y a eu une succession de détails qui ont rendu cet évènement assez marquant sur le plan personnel, mais je divague, quoique ces détails sont inextricables de nos expériences cinématographiques, la nostalgie en somme.
Je le revois et le revois encore sans discontinuer dans les mois qui suivent sa sortie en DVD. Mais voilà… Les années passent, les revisionnages cessent… et je finis même par me demander si je n’avais pas un peu trop surestimé ce TDK.
Quelques années après mon dernier visionnage et suite à ma (re)découverte des six précédentes itérations de l’homme chauve-souris, je peux le répéter sans flancher : TDK est le meilleur film sur Batman à ce jour, l’un des meilleurs films de SH, et un film sensationnel au delà-même de ce carcan.
L’intrigue reprend quelques années après la fin de Begins. Batman est devenu une figure bien installée sur Gotham, dont l’ombre rassure les forces de l’ordre et inquiète les brigands. Le travail mené en concomitance par Batman et Gordon pour traquer la mafia locale continue de faire ses preuves, les criminels sont acculés et en passe d’abandonner. Tous ? Non ! Car un irréductible anarchiste du nom du Joker résiste encore et toujours au justicier. Drivé par des pulsions que le film se gardera de clairement définir pour le plaisir spéculatif du spectateur, notre ennemi préféré de Batman vit dans ce film une véritable ascension au pouvoir. Une ascension qui ridiculise notre héros et ses partenaires de la fonction publique. S’ensuit donc un jeu explosif du chat et de la souris à l’échelle d’une métropole, mené tambour battant par un ennemi non seulement coriace et fou, mais indiscutablement malin.
Ce film est encore aujourd’hui une vraie tuerie.
Nolan corrige déjà plusieurs points qui me chiffonnaient beaucoup dans Begins.
ENFIN la gestion de la narration est on ne peut plus naturelle. Nous sommes toujours entrainés dans une course folle, mais le film se permet enfin de véritablement étendre l’univers, ajoutant de la matière tant à la ville de Gotham qu’à ses habitants, depuis les protagonistes aux foules, en passant par les seconds rôles et les seconds couteaux, et de les placer dans un fil narratif qui ne s'embourbe pas ou si peu. Gotham est enfin vivante, fourmillante et en proie au chaos. Un chaos qui sera canalisé et exploité sans vergogne par un Joker divin, interprété par un Heath Ledger solaire, balayant toutes les autres prestations du film, même si Aaron Eckhart et Gary Oldman n’ont pas à rougir des leurs.
Le film est construit sur une succession de morceaux de bravoure gavés de tension et d’action. C’est d’une simplicité limpide, mais bon sang que c’est rondement exécuté.
Parce que, comme nos héros, nous passons notre temps à courir après le Joker, il est difficile de ne pas se sentir happé par les évènements et Nolan a parfaitement su découper son film en actes tous plus marquants les uns que les autres pour qu’on puisse tous les savourer sans jamais se lasser. Je dois toutefois pointer du doigt la résolution de l’acte des bateaux, qui entre vraiment trop en contradiction avec tout ce que le film nous avait présenté. Je pense que ça aurait été immensément plus poignant et couillu si Nolan avait fait passer à l’acte l’un des bateaux, mais je suppose qu’il fallait un semblant d'optimisme pour le public. Malgré ça, le film a l’audace de se terminer sur une note finalement très sombre, parachevant de justifier le titre du film.
Un peu comme dans Batman Returns, Bruce Wayne est ici en retrait. Confronté à un ennemi qui se tient quasi naturellement hors de son contrôle, il subit les affres de celui-ci avec la même âpreté que le reste de la métropole. Il n’a pas le contrôle, personne ne l’a, sauf un, et avec ce revisionnage, je me suis vraiment re-rendu compte à quel point le Joker était un extraordinaire et redoutable antagoniste. Chacun de ses plans, aussi chaotiques soient-ils, sont minutieusement teasés. Aussi quand il entend qu’un individu s’apprête à révéler l’identité de Batman à la télévision, ça n’est pas avant un bon moment après qu’il appelle enfin le plateau pour provoquer la cohue : il s’était préparé. Ça paraît bidon, mais quand j’étais ado je n’avais pas été autant charmé par cette écriture si efficace et subtile.
Autre évolution notable : l’utilisation de la musique, moins tape-à-l’oeil. Exemple le plus édifiant : le transfert de Dent. Pendant ces quelques dix minutes, il y a, à tout casser, un bruit lancinant de scie, sinon rien. Rien à part le bruit des moteurs et des tirs du Joker, des crashs et des coups d’accélérateurs. Il faut attendre la charge ultime de Batman pour que la bande-son reprenne de la vigueur. Ça se savoure comme un bon chocolat chaud. Dommage que le passage soit gaspillé par les petites interventions humoristiques du passager du fourgon blindé, mais je m’en fiche, ça reste un morceau vraiment dingue. Je fermerai cependant moins les yeux sur le détail suivant : quand le fourgon sort enfin du tunnel, toujours pourchassé par le Joker, ce dernier ordonne à ses sous-fifres de tirer des câbles afin de faire tomber un hélicoptère. Comment diable le Joker a-t-il pu deviner que c’était cette sortie là que le fourgon allait emprunter ? On peut supposer que c’est la sortie qu’il faut prendre en cas d’utilisation du tunnel pour atteindre la destination, mais ça me fait un peu tiquer quand même. Bref.
Si Batman Begins dépoussiérait efficacement le mythe tout en se prenant hélas les pieds dans le tapis narratif, TDK balaye sans aucun problème ces aspérités et propose un film de super-héros emprunté d’une touche réussie de polar noir, puisant intelligemment dans les films de gangsters et narrant tout cela avec une fluidité beaucoup plus appréciable que sur l’opus précédent, et que n’importe quelle précédente adaptation du super-héros soit-dit en passant.
Le sous-texte du film est assez fascinant à regarder et ré-analyser, treize ans plus tard. Je pourrais repartir sur des pages entières, donc je vais simplement me contenter d’un petit focus sur un petit élément : la surveillance via les portables. C’est fou de voir à quel point c’est une réalité. Pas tant dans les faits (je doute qu’il existe des écrans diffusant ce que nos portables captent… quoique), mais sur le principe (nos portables sont sur écoute de bien des façons, tant par des agences gouvernementales et leurs outils de surveillance que par les entreprises comme Facebook, Amazon ou Google, qui épient nos faits et gestes tant par des algo et databases que par l’écoute passive de nos conversations pour proposer de la publicité ciblée).
En somme : le film reste encore aujourd’hui un sacré morceau, gavé de moments et répliques iconiques, porté par une production généreuse, un casting ultra solide, lui-même tiré vers le haut par un Heath Ledger sans qui le film aurait clairement eu une dimension différente, reconnaissance posthume ou non, un rythme et un montage bien mieux gérés (même si Nolan ne sait toujours pas trop bien filmer ses scènes d’actions, contrairement aux scènes de cascade et destruction), le tout avec une musique encore plus insidieuse et perçante (j’aime vraiment vraiment le thème du Joker). Bien sûr qu’il y a quelques petits menus détails qui font tiquer, mais face à la démesure et la qualité du projet, face à cette itération poing-dans-ta-gueule d’un Batman ancré dans un monde post-11/9, impossible de le voir, encore en 2021, autrement que comme un excellent film sinon plus.
Je n’irai pas jusqu’à le qualifier de chef d’oeuvre dans la mesure où il y a des choses qui me gênent ainsi que les 30 dernière minutes qui font passer film d'excellent à... bon, mais grand dieu que ce film est dingue, et grand dieu que la claque est toujours d’actualité.
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Créée
le 12 sept. 2021
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