Soit on meurt en héros, soit on vit assez longtemps pour se voir endosser la peau du méchant.

Si Batman Begins constituait le ticket d'entrée pour Christopher Nolan dans le monde du blockbuster, The Dark Knight deviendra en peu de temps la confirmation de son statut de maître de "l'Entertainment", en écrasant la concurrence en terme de box-office l'année de sa sortie. De quoi rassurer Warner et DC, dans leur impression de détenir la perle rare en la présence de ce metteur en scène qui était parvenu à relancer un personnage emblématique avec succès, alors que ce dernier avait connu une longue traversée du désert suite à l'échec cuisant de sa précédente interprétation signée Joel Schumacher. Succès autant commercial que critique, The Dark Knight est devenu, davantage qu'un X-Men ou un Spider-Man 2, la preuve que la rencontre entre un auteur et un personnage ayant pour matériau d'origine le comic-book pouvait donner une réussite tant du point de vue spectaculaire que réflexif.

Dès lors, bien fou qui voudrait remettre cette légitimité en cause, tant l'image du film a été savamment travaillée, le film se présentant comme une œuvre radicale et inédite, qui ringardiserait les anciens films de super-héros... > (sourire en coin) Mouha ha ha ha<

Cependant, à bien regarder aujourd'hui et au vu de la carrière entreprise par Nolan, son aura d'œuvre mythique mériterait d'être remise en cause. En effet, certains problèmes apparaissent évidents, lorsqu'on a dépassé la surprise initiale, au premier visionnage.

Pour commencer, le manque d'intensité évident de la mise en scène est frappant. Un argument qui revient souvent lorsqu'on en vient à parler des qualités de cinéaste de Nolan est que la force de sa mise en scène repose sur sa sobriété, le coté posé et compulsif de sa construction scénique. Or si c'est vrai pour certains de ses films ( notamment "The prestige"), The Dark Knight n'appartient clairement pas à cette catégorie; c'est même l'opposé d'un film au rythme mesuré. Cela est du à deux choses: d'une part, les temps morts sont inexistants; il n'y a pour ainsi dire aucun moment de respiration dans la narration. D'autre part, ce rythme accéléré s'accompagne d'une absence de point de vue ou d'élaboration de son propos que traduirait l'image.

La séquence d'introduction constitue un parfait exemple de ces problèmes: sorte de sous-remake de Heat ( avec même la présence de William Fichtner, des fois qu'on n'aurait pas compris la référence), cette scène semble pensée pour jouer sur la tension progressive, montant crescendo jusqu'à atteindre un climax qui serait en quelque sorte le point d'orgue de l'opération menée par ce mystérieux sociopathe répondant au nom du Joker. Pourtant, et malgré tous les efforts de la BO pour donner l'impression que l'ambiance s'intensifie, la séquence ne parvient jamais à être aussi prenante qu'elle devrait, tant le montage frénétique et le manque de caractérisation ( volontaire?) des personnages donne lieux à un spectacle passif, bien chorégraphié, répété correctement mais guère convaincant. Le tout n'est pas d'occuper l'attention du spectateur devant un film, il faut parvenir à l'impliquer dans l'action. Ce qui faisait la force de la scène de braquage dans Heat était que les personnages étaient clairement définis, aussi bien en terme d'écriture par leurs actions et leur back-round respectif, qu'en terme de mise en scène; notamment par de superbes ralentis et des gros plans sur les visages des différents protagonistes... Et la scène de fusillade qui suivait n'en était que plus prenante.

D'ailleurs, cela résumerait bien le gros problème du film: il n'adopte aucun réel point de vue sur les questions qu'il prétend traiter. Si on creuse un peu, de quoi parle le long-métrage? Certes, il aborde certains sujets, que ce soit l'extrémisme, la question de la justice individuelle face à celle instituée. Oui, le film veut développer un discours politique et pousser son personnage dans ses retranchements... Mais concrètement, que dit-il de Bruce Wayne? Des citoyens de Gotham? Du point de vue de la police ou d'Harvey Dent?... Le scénario passe un temps considérable à nous parler de justice, du rôle de "chevalier blanc" qu'Harvey Dent doit endosser... Mais que montre-il réellement de cela?

Réponse: pas grand chose. C'est comme cette milice pro-armes, ce cadre de Wayne Enterprise tombant incidemment sur des dossiers compromettants, ou cette bande de mafioso dont le Joker se débarrasse hors-champs (avec un coup de main de la part du proc' général défiguré... Bien sûr, on y croit). Ne reste de tout cela que des bribes de réflexion et certains moments marquants.

Par ailleurs, on sent bien que Nolan veut construire un récit choral sans avoir la maitrises de ses auteurs de référence (Michael Mann en tête). Cela se traduit par la multiplication des arcs narratifs, dont certains ne bénéficient pas du temps qu'ils mériteraient pour être correctement mis en place, à l'instar de celui d'Harvey Dent. Ce dernier donne plus l'impression d'un sociopathe qui craquerait au moindre accroc plutôt qu'un authentique fanatique, déchiré entre l'idéal de justice et ce que cela implique de concessions (chose qui semblait être le but recherché au vu du discours tenu par le Joker pour le rallier aux ténèbres).

Et le plus dramatique, c'est que je pense que tous ceux qui ont travaillé sur ce film le savent. Personne n'est dupe, y compris Nolan lui-même. (NB: voy interview: https://www.indiewire.com/news/general/dark-knight-review-nolan-talks-sequel-inflation-186854/)

Alors, je donne peut-être l'impression de démolir le travail derrière... Pourtant, j'aime toujours ce film: pour son travail technique, pour le maquillage et l'écriture du personnage du Joker, pour des performances d'acteurs hors du commun (Heath Ledger en tête), pour la maestria du travail de Hans Zimmer, les incroyables séquences de destruction, etc... Et surtout, son principal atout reste son ambition de départ, à savoir de confronter Batman aux conséquences de ses actes, dans un climat d'anarchie instillé par l'arrivée du clown démoniaque. Certaines répliques amènent un questionnement intéressant, que ce soit lors de la réunion entre Bruce, Harvey et Rachel ou encore les réflexions d'Alfred, qui remplit en quelque sorte la fonction de chœur antique. Certaines scènes marquent aussi par leur brutalité peu commune à ce genre de production (enfin surtout au moment de sa sortie).

En somme, il serait vain de nier que le film mérite, en partie (!), son statut de film culte, de par ses velléités artistiques en totale décalage vis-à-vis des canons des films de super-héros, bien souvent liés à des impératifs commerciaux. On ne niera pas non plus que l'entreprise fut payante en donnant lieu à quelques séquences mémorables en terme de réplique et d'image. Cependant, comme n'importe quel héros doit être remis en question, même les mythes ne sauraient échapper au courroux de la justice.

Aegus
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films batman et Les films où le héros disait la vérité en mentant

Créée

le 26 juin 2023

Critique lue 77 fois

7 j'aime

14 commentaires

Aegus

Écrit par

Critique lue 77 fois

7
14

D'autres avis sur The Dark Knight - Le Chevalier noir

The Dark Knight - Le Chevalier noir
Hypérion
8

Un Joker au panthéon, un Batman de grande envergure

Pas encore remis de son dernier opus The Dark Knight Rises qui me fait encore trembler de rage mal contenue en y repensant, j'ai pris le risque de revoir son illustre prédécesseur, histoire de...

le 21 août 2012

100 j'aime

22

The Dark Knight - Le Chevalier noir
Sergent_Pepper
9

« Je suis une farce qui va »

Plus d’une décennie après sa sortie, et le triomphe presque sans partage des super-héros sur le box-office mondial du blockbuster, The Dark Knight reste une exception à plus d’un titre. Pour peu...

le 28 mars 2020

87 j'aime

9

Du même critique

GoldenEye
Aegus
8

Pour l'Angleterre, James?

Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour. ...

le 6 déc. 2023

17 j'aime

3

Qui veut la peau de Roger Rabbit
Aegus
9

Le coup du piano

Roger Rabbit est un film fondé presque exclusivement sur le paradoxe: paradoxe entre le cinéma de l'Enfance et celui dit "sérieux". Cinéma de la modernité versus cinéma classique. Animation versus...

le 4 juin 2024

16 j'aime

10

Astérix et les Normands - Astérix, tome 9
Aegus
9

La crème de la crème

Une franche tranche de rigolade, cet album. L'un de ceux qu'on relit avec plaisir, peu importe l'âge! Goscinny parvient à parodier le "mythe du viking" à merveille, de même qu'à agrémenter le récit...

le 3 oct. 2023

15 j'aime

21