Une adaptation qui tient surtout de la relecture d'un mythe.
The Dark Knight commence peu de temps après la fin de "Batman Begins", sur Gotham City en plein jour, accompagné par une musique ressemblant à un avertissement, et annonce d'emblé la couleur : pas de répit. Effectivement, si les temps morts existent bel et bien dans ce film, il reste néanmoins une tension quasi permanente qui perdure et plane dans nos esprits. La bande originale y aide beaucoup avec souvent en fond cette espèce de sirène d'alarme qui débute le film. Ce thème stressant souligne souvent les actions ou les conséquences des actions du Joker, et nous y reviendrons, accentuant le coté chaotique et souvent inévitable de certaines choses.
Par opposition, le thème de Batman, un peu retravaillé depuis l'opus précédent, souligne les moments de bravoure et d'abnégation du héros et creuse encore plus la dichotomie entre les deux adversaires. Ceci étant, il ne suffit pas d'une bande son de qualité, ou seulement d'un bon et d'un méchant pour faire un film qui tienne la route, surtout quand on a affaire à un scénario de cette qualité. Le réalisateur, continuant son œuvre, installe donc logiquement Harvey Dent au poste de procureur général de la ville et en fait le compagnon de vie de Rachel Dawes (qui a subit un changement de casting), meilleure amie, confidente, et amour de Bruce Wayne, occupé a sauver Gotham avec son ami le lieutenant Gordon, et bien entendu, à se cacher du monde épaulé comme toujours par son fidèle Alfred. Ecrasant de banalité au premier regard et cela serait certainement le cas sans la menace omniprésente d'un ennemi dont Batman ignore tout...
L'intelligence du film se dévoile alors une fois tout ce petit monde en place. Pour le personnage du film, c'est avancer en étant perdu dans ses méandres personnels, pour le spectateur, c'est admirer une partie de maîtres à un jeu très dangereux, dans les deux cas, au moment ou on croit avoir tout compris, on se rend compte qu'on ne s'en doutait pas un seul instant...
Le scénario n'est pas réellement compliqué, et même si il a des faiblesses, elles sont en grande partie gommées par la réalisation soignée et le jeu impeccable des acteurs. Sans regarder le coté "adaptation de super héro", le film en soit est un thriller très prenant caché sous des airs de film noir moderne. Un justicier borderline, de vaillants hommes de loi, un triangle amoureux, des ripoux, la pègre, et un psychopathe totalement incontrôlable et imprévisible en sont les ingrédients principaux et se suffisent a eux-mêmes. La cerise, c'est que ça ne sont pas n'importe quels personnages, mais bel et bien ceux de "Batman".
Persévérant, Nolan peaufine les aspects développés dans son premier opus et nous avons droit par exemple à un Bruce Wayne bien plus actif, à la limite du détective privé, n'hésitant pas à payer de sa personne et à sortir sans costume pour combattre le crime. Ceci permet de marquer encore plus l'opposition entre Batman, justicier violent agissant dans l'ombre, et Harvey Dent, procureur flamboyant, ne fuyant rien ni personne avec une foi immense en ses idéaux. La limite de l'un est bien souvent le commencement de l'autre alors que dans un même temps, Bruce Wayne ne fais vraiment plus le poids aux yeux de sa bien aimée, l'homme est devenu le masque, et de ce fait, affiche au grand jour une parodie de milliardaire qui prête allégeance a Harvey Dent.
Le personnage de Harvey Dent renoue lui aussi avec sa "mythologie" sous les traits d'un Aaron Eckhart bouleversant de vérité. On est bien loin, et on l'en remercie, du Double Face fanfaron et sous acide qu'interprétait Tommy Lee Jones. Son jeu est très égal, la naissance de Double Face est notable même sans effets spéciaux, bien que sans l'aspect physique, il y aurait eut quand même moins de ressemblances huhu...
Gotham City prend aussi une nouvelle dimension. Là où le premier film se contentait de montrer par petits plans (et souvent de nuit) une vieille ville qui a du mal à se moderniser, ici grâce à de longs plans, de beaux extérieurs jours ou bien vues aériennes, cette même ville apparaît transformée tout en étant la même, un impression difficile à expliquer mais tellement frappante.
La perception qu'on a de Gotham change lentement mais sûrement tout au long du film, annoncé et appuyé par la musique et les agissements du Joker, personnage central de la mécanique du film et soutenue par la phrase d'Harvey Dent "l'heure la plus sombre vient toujours avant l'aurore".
Dans la version de Nolan, il n'y a pas d'explication de la "naissance" du Joker, tout comme dans le comics d'origine, et on y retrouve une des idées fondatrice de l'univers de Bob Kane à savoir qu'un bon défenseur du crime attirera encore plus de crime, et dans certains cas, donnera naissance à la folie. [J'arrête tout de suite ceux qui pensent à Nicholson et a la version de Burton : Non, le Joker n'a pas tué les parents de Bruce Wayne. Non, Batman n'a jamais poussé le Joker dans une cuve de produits toxique... La seule 'biographie officielle' concernant le Joker est raconté en flash-back dans "The Killing Joke" sorti en 1988, écrit par Allan Moore et illustré par Brian Bolland, merci.]
Véritable point névralgique du film, la légitimité de Batman est remise en question des l'apparition d'Harvey Dent par nul autre que Batman lui-même et à partir du moment où le Joker s'en mêle, le mythe peut prendre vie.
Visage marqué et grimé, humour douteux, aussi fou que doué, le Joker tiens ici son rôle a la perfection. Véritables antagonistes, totalement antinomiques, Batman et le Joker sont parmi les duos les plus réussit des comics et on retrouve ici leur "complicité" légendaire mais le rôle du Joker dans le film va bien au-delà. Avec un thème musical adapté, le Joker devient une ombre, une rumeur, un fantôme au même titre que Batman mais avec un autre avantage en plus de la peur sur les autres : l'imprévisibilité. Une fois plongé dans le film, les actions du Joker pèsent sur le spectateur, témoin pris à parti du terrorisme et de la violence gratuite du personnage. Les méfaits, les menaces, les ultimatums et les morts aussi surprenantes que variées s'enchaînent autour d'un Batman tout aussi perplexe que nous, toute action entraîne une réaction qui trouvera toujours une logique en définitive et même quand on pense pouvoir éviter le pire, l'inévitable se produit. La mise en scène efficace utilise certains clichés du film d'horreur ou des procédés chers à Hitchcock pour nous maintenir sous pression pendant les deux heures et demi du film, et y arrive relativement bien. Un bémol tout de même pour l'action gratuite, ne laissant pas de doute sur le fait que ça soit une très grosse production destinée à engranger beaucoup d'argent : nouveau gadgets de Lucius Fox, enlèvement a Hong Kong, moto avec un moteur d'ovni...
Si la tension est présente et que l'alchimie fonctionne, c'est certainement en partie l'effet de la prestation des acteurs, surtout celle d'Heath Ledger et si certains diront qu'ils préfèrent le Joker de Nicholson, je trouve qu'ils se valent largement l'un et l'autre. N'oublions pas tout de même l'univers qu'a retranscrit le réalisateur, et dans un tel univers, le Joker de Ledger trouve sa place comme un sourire sur le visage d'un clown. (Je conseille fortement de voir le film en vost, le doublage français ne rendant pas du tout justice au jeu de l'acteur)
Toujours constant dans son personnage totalement inconstant, la performance est remarquable, encore plus quand elle est double comme dans le face-à-face avec Harvey Dent sur son lit d'hôpital... Deux petites mentions quand même, une pour Gary Oldman, toujours impeccable en Gordon ; et à Eric Roberts, dont c'est certainement le rôle ou je l'ai trouvé le moins ridicule de toute sa carrière.
Si la première vision m'a laissé l'impression d'avoir vu une bande annonce de 2h30, elle m'a aussi donné envie de le revoir et finalement après des films comme celui là, on peut encore espérer trouver de bonnes adaptations, et même avec un peu d'espoir, croire qu'Hollywood peut encore produire de grands films.