Depuis le début de la trilogie du Batman, les scénaristes Christopher Nolan et David S. Goyer avaient imaginé les grandes lignes de chaque film. Le troisième épisode était censé raconter le procès du Joker. Mais la mort de Heath Ledger a bouleversé les projets et le troisième film a dû changer de ligne directrice.
Pendant toute la durée de la production du dernier épisode de la trilogie, le comics Batman : Knightfall, ouvrage dans lequel Batman et Bane s'affrontaient, est l’inspiration générale. Connus pour s'éloigner de la base des comics, Christopher Nolan et son frère ne l'ignorent néanmoins pas totalement.
Cette nouvelle histoire va devoir conclure les arcs narratif de Batman Begins (la Ligue des Ombres) et de The Dark Knight (la loi Harvey Dent). Cependant les scénaristes garderont l'idée du procès du Joker en écrivant une scène avec le retour de Cillian Murphy alias l'Épouvantail en juge, jury et bourreau.
En 2011, le nouveau grand patron de la Warner Bros. Pictures, Jeff Robinov, annonce que le troisième épisode du Dark Knight sera le dernier confié à Christopher Nolan. Ayant refusé à maintes reprises d'intégrer Batman dans le futur univers étendu : le DC Extended Universe (DCEU), Christopher Nolan devrait se voir confier uniquement la production de ce DCEU pour rivaliser avec le Marvel Cinematic Universe (MCU).
The Dark Knight Rises sort en 2012 et doit conclure la trilogie.
Le problème de Bruce Wayne dans ce film n’est plus de savoir quelles frontières il doit se fixer pour combattre le mal, mais jusqu’où le dépassement de soi qu’exige la condition même de justicier (quand il est une figure légendaire comme Batman) va le ronger. On serait tenté de répondre jusqu’à l’os, ou du moins jusqu’au cartilage, qu’il n’a plus au niveau des articulations. Car il faut voir dans quel état on le retrouve, Bruce Wayne : usé, dépressif, boiteux et isolé au fin fond de son immense manoir vide. À la fin du volet précédent, Batman, qui avait été éprouvé par le mal comme jamais auparavant, ne pouvait plus gagner que sur un seul tableau : celui des apparences. Il lui fallut pour cela endosser les crimes du procureur Harvey Dent qui avait disjoncté, s’accuser de la mort de ce dernier et devenir un fugitif.
Huit ans plus tard, quand débute le film, nous apprenons que cette abnégation ne fut pas vaine. L’espoir est revenu à Gotham, la corruption s’est dissoute et la loi s’est imposée au détriment de la pègre, mais à quel prix… Car Batman, désormais recherché pour meurtre, a dû être rangé au placard par Bruce Wayne, ce qui revient à priver un martyr de sa croix, soit la seule chose qui faisait le lien entre lui et sa pulsion de mort. Sans cette dernière, paradoxalement, l’existence n’a plus aucun sens. Mais un événement va le sortir de sa léthargie, une cambrioleuse du nom de Selina Kyle pénètre sa demeure pour relever des traces de ses empreintes digitales afin de les détourner. Enquêtant sur elle, il découvre qu’un mercenaire brutal et sans merci, formé à la Ligue des Ombres et répondant au nom de Bane, squatte les égouts de Gotham, et que ce dernier pourrait bien être employé par l’un de ses adversaires financiers.
Ce n’est pas souvent que l’on voit un super-héros perdre, se briser et s’écraser sur tous les plans (physiques, psychologiques et idéologiques). Les scénaristes poussent jusqu’au bout le thème de l’apprentissage qui, avec le recul, semble être le moteur principal de la saga. Pourquoi tombe-t-on ? Pour apprendre à se relever, pour faire face à nos peurs (comme dans Batman Begins), pour affronter le mal (comme dans The Dark Knight), et enfin pour surmonter l’échec (comme dans ce film). Trois films pour en définitive apprendre à devenir Batman, ça en dit long sur leur sérieux. Pour que ce troisième épisode soit la conclusion épique qu’on est en droit d’attendre, il fallait qu’il tape fort et massivement, en s’attardant donc sur le statut social de Wayne, sa fortune, sa multinationale. Sans cela il n’y a matériellement pas de Batman possible. Mais peut-on être justicier d’un côté en s’évertuant de rendre le monde plus juste et milliardaire de l’autre alors que le déséquilibre financier est ce qui maintient les inégalités sociales ? Interrogation pertinente et sacrément intéressante que Wayne se prend de plein fouet sans l’avoir vu venir : le plan de Bane est de renverser l’hégémonie de la haute finance afin d’utiliser la haine des classes pour paralyser Gotham qui devient isolé du pays, où toute forme d’autorité est proscrite.
Les tournures du scénario sont d’une audace inouïe, la première confrontation entre Bane et Batman est douloureuse et le film prend des accents de drame social en se déroulant sur fond de lutte des classes. L’histoire, très dense, s’emballe dans tout les sens et lui donne du fil à retordre pour en contenir tous les tenants et aboutissants. Elle le contraint à l’ellipse (que certains ne manqueront pas de qualifier de raccourcis).
Le personnage génial qu’est le Joker, vraie figure d’altérité à laquelle Heath Ledger rendait admirablement hommage, imposait son propre rythme, son tempo, qu’il fallait suivre pas à pas. Il y avait soudainement des pauses dans le récit, de la respiration. Choses que Christopher Nolan ne peut même plus se permettre ici.
Il n’y a qu’à voir comment Bane, personnage impressionnant interprété par Tom Hardy qui nous offre de superbe affrontement contre Christian Bale, est sacrifié sur l’autel du twist scénaristique.
Même si c’est plaisant de voir Miranda Tate se fondre en Talia Al Ghul sous les traits de l’hypnotique Marion Cotillard (et en plus de voir Liam Neeson), le twist ne vaut pas le sacrifice de Bane qui portait la révolution de Gotham à bout de bras.
Bruce Wayne est un personnage fascinant parce qu’il redoute la quête qu’il s’impose et qui consiste à le mettre face à ce qu’il sait déjà, mais qu’il tente désespérément de fuir. C’est dire sa complexité. En perdant Batman, il s’est réfugié dans le déni et a préféré se convaincre trop facilement que la mort est la seule issue. Mais, toute pimpante que peut sembler Gotham, il sait, au fond de lui, que sa mission n’est pas finie, que Batman, ce retour du refoulé, n’est pas qu’une question de faire régner la justice derrière un masque mais d’imposer sa légende, de lui donner une sens, de la léguer. Et, pour cela, la mort est insuffisante.
C’est la partie la plus réussie du film avec l’intervention de deux personnages capitaux : l’officier John Blake incarné par Joseph Gordon-Levitt et Selina Kyle interprétée par Anne Hathaway. Les deux sont connus sous les noms de Robin et Catwoman, mais jamais nommée comme telle dans le film. Un peu annexe à l’histoire, criminelle par dépit mais tout de même préoccupée par la justice, elle apprend à connaître Bruce Wayne tout au long de l’histoire et comprend, à travers lui, qu’on est défini par ses choix moraux. Quand ce dernier ira noblement jusqu’au bout de la morale qu’il s’est choisie, elle en tombera définitivement amoureuse. Le baiser qu’ils s’échangent à la fin, simple, évident, chargé de la posture intenable et donc tragique du héros, est l’un des plus beaux vus depuis longtemps dans le cinéma.
Michael Caine en Alfred Pennyworth, Gary Oldman en James Gordon et Morgan Freeman en Lucius Fox sont toujours fidèles au poste.
Même si le film est un peu hésitant sur la fin à adopter, il aura au moins le mérite d’aller jusqu’au bout de la logique initiée avec Batman Begins et transcendée par The Dark Knight : montrer que le dépassement de soi, l’héroïsme est humainement insoutenable parce qu’inhumain. D’où sa grandeur, d’où sa poignante beauté. Christopher Nolan est le seul à avoir pris le film de super-héros au mot, c’est-à-dire à en respecter le programme de bout en bout, sans compromis possible.