Un tour de force sanglant, Rock'n Roll et radical
Cette fausse suite, loin du burlesque-cartoon déjanté de La Maison des 1000 Morts, opte pour un réalisme glauque, où les coups portés par des personnages moralement perdus font cette fois vraiment mal.
Zombie choisit de tourner en Super 16, avec un grain de pellicule crasseux renvoyant judicieusement aux films des 70's. Le coté rugueux, âpre, est encore accentué par les décors arides du désert californien, cadre idéal de western moderne.
Tout ça concoure pour que la peur dans The Devil's Rejects soit aussi jubilatoire que véritablement glauque.
Parti-pris décisif, Zombie inverse son postulat de base, les Firefly ne sont plus les meurtriers ne craignant personne de La Maison des 1000 morts, mais bien des proies apeurées. Traqués par un shérif déjanté presque pire qu'eux, le capitaine Spaulding, Otis et Baby se voient obligés de fuir et de tracer la route.
Si on les plaindrait presque, les Firefly ne tarde pas à reprendre leur (très) mauvaises habitudes en séquestrant dans un motel un groupe de musiciens et leurs femmes, s'amusant à les violenter et les traumatiser de la pire des manières.
Après ces moments de malaise paroxystique s'ensuit un délire hallucinant, grand guignol: la femme de ménage tombe nez à nez devant la seule rescapée, qui porte le masque de chair de son mari. Complètement affolées, elles se terrorisent l'une l'autre. Un mariage entre le burlesque et le gore difficilement imaginable!
Cette ambiance glauque n'empêche pas un humour franc du collier, porté par des dialogues ultra-cool, une sorte d'éloquence dans la vulgarité absolument hilarante.
Florilèges: « Garçon, le prochain truc qui sort de ta bouche a intérêt à être du putain de Mark Twain. Parce que c'est sans aucun doute ce qui sera gravé sur ta tombe. », (Otis devant une pute): « Vu que mes critères de jugements sont le plus bas possible, je ne suis jamais déçu »,« Je pense que quand j'ai mis mon flingue dans la chatte de ta femme, il a rouillé. »
La cohésion entre les personnages ne passe pas uniquement par le sang versé, mais bien aussi par les insultes, les meurtriers se jaugeant constamment en fonction de leur verve ordurière (« I was going to call you a crazy pig fucking dumbass pussy piece of shit »), pouvant s'engueuler à longueur de journée pour acheter ou non des cornets de glace, les fameux Tootie Fucking Fruitie.
On retiendra aussi le débat gratiné sur les biens fondés du baisage de cocqs décapités entre un fermier bouseux et les deux légendes de la série B Ken Foree et Michael Berryman. C'est toujours bon de s'informer.
Mais là où The Devil's Rejects marque vraiment, en plus de sa violence hallucinante et ses personnages surréalistes, c'est dans la manière brillante dont Rob Zombie arrive à englober, assimiler, toutes sortes d'influences et d'univers hétéroclites.
Le résultat final est assurément unique, mais n'oublie jamais de rendre un hommage respectueux et enamouré à ses références.
Le générique ponctué d'arrêt sur images renvoie directement à ceux de Sam Peckinpah. Un réalisateur dont Zombie partage la vision intrinsèquement violente et mauvaise de l'être humain.
Si Bloody Sam avait livré le chant du cygne ultime du Western avec le crépusculaire La Horde Sauvage, Zombie profite de The Devil's Rejects pour livrer la révérence sanglante de tueurs libertaires, s'apprêtant à quitter un monde où ils n'ont plus leur place.
Outre l'influence latente, sourde, de Massacre à la tronçonneuse, on pense aussi à Taxi Driver. Ainsi, le shériff Wydell, perpétuellement sur la corde raide, se fixe dans le miroir comme un certain Travis Bickle.
Il répète une litanie terrifiante, « Seigneur, je suis ton bras armé. », dans un montage syncopé digne du chef d'oeuvre fou de Scorsese.
Le casting convoque nombre de gloires oubliées de la série B, qui paraissent retrouver une seconde vie dans l'univers fou de Zombie, que ce soit Sid Haig, Ken Foree ou Michael Berryman. On retiendra aussi la craquante Sheri Moon Zombie, qui ne ménage pas ses charmes, et les prestations hallucinées de Bill Moseley et William Forsythe, tous deux littéralement en transe.
Un mot sur la B.O, à tomber par terre, creusant brillamment dans les racines d'une Amérique profonde, entre Country et Rock Sudiste crasseux.
Trois moments où l'utilisation de la musique est particulièrement en osmose avec le métrage:
1) Sur fond du Rocky Mountain Way de Joe Walsh, Zombie réussit une véritable célébration élégiaque du mode de vie hors la loi.
La famille Firefly prend du bon temps au bordel de leur pote Altamont. Un moment magique figé dans le temps, où on profite de la vie et des potes,entre boissons, danse et rock'n roll.
2) L'attaque du bordel par Wydell et ses sbires, profitant de l'inattention générale. Couvert par le To Be Treated Rite de Terry Reid, l'empathie est totale, une vraie émotion se dégageant devant la capture de ces salauds.
Les paroles « Oh we are what we are when in danger And we are as we stand head in hand » donnent une dimension bouleversante d'acceptation de leur sort par nos anti-héros préférés.
3) (SPOILER) La conclusion du film, sur Free Bird de Lynyrd Skynyrd, marque une véritable apothéose filmique pour Zombie, réussissant comme jamais à orchestrer son récit en se calant sur la musique.
Une profession de foi déchirante, assurant devant l'éternel son empathie profonde pour les pires bad motherfuckers vivant sur terre.
Une sorte de réinterprétation badass du célèbre adage de Neil Young, repris en son temps par Cobain,« it's better to burn out than to fade away » (plutôt s'enflammer que de se consumer à petit feu ).
Devant un baroud d'honneur aussi charismatique, aussi électrique, on ne peut qu'être admiratif.
D'une violence parfois insoutenable, le film est à réserver à un public averti, prêt à goûter à une transgression sans aucune limite.
Pertinent comme jamais, le shérif Wydell s'adressera comme ceci aux Firefly, véritables icônes du Mal: « Je dois vous remercier. Vous m'avez aidé à comprendre quel était mon héritage (...) J'ai essayé de respecter les limites, mais maintenant je réalise qu'il n'y en a pas. Ensemble, nous jouons à un niveau que peu peuvent goûter. »
D'un humanisme pervers, le sulfureux The Devil's Rejects incarne le cinéma Mad à son meilleur.
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