Je me suis abîmé les oreilles sur ce qui c'est d'abord et simplement appelé hard-rock pendant la plus belle partie des mes années adolescentes. Mötley Crüe fait naturellement partie des groupes dont j'ai suivi l'éclosion au début des années 80, d'autant qu'un concert vu assez rapidement après la naissance du groupe avait durablement marqué ma toute fraiche éponge à souvenirs.
Et puis, comme pour tous leurs petits copains à cheveux farouchement permanentés et aux fuseaux sévèrement mouleburnés, j'ai peu à peu oublié les attraits du rock-avec-du-poil-aux-mollets en même temps que mes boutons, qui camouflaient un visage qui retrouverait bientôt un profil avantageux, devenaient un douloureux souvenir.
Je découvrais la vraie musique, et tentais de camoufler un passé de graisseux un peu honteux.
Ce n'est que bien des années plus tard que je croisais à nouveau la route du groupe de chevelus de L.A., à la faveur d'une bio complètement hallucinante, qui fut l'occasion d'une de mes toutes premières critiques quand je débarquais sur le site.
La bio connut un tel retentissement qu'elle permis une deuxième jeunesse au groupe, qui se fendit même d'un album reprenant les grand chapitres du livre. Parallèlement, Nikki Sixx, revenu d'entre les morts, publiait le journal de ses années junky et entamait une seconde existence pleine de projets (auteur, photographe, bassiste dans un nouveau groupe…) et d'intérêts.
La vie du groupe étant devenue plus intéressante que sa propre musique, je ne pouvais me résoudre à laisser cette torpille folle quitter une seconde fois la portée de mes radars. J'allais le voir une dernière fois au cours de la tournée d'adieux, et guettais tout projet lié l'existence de cet ex-combo de furieux.
Et donc, l'annonce d'un adaptation par Netflix du bouquin, bientôt produite et adoubée par les membres du groupe. Espoirs et craintes, alimentés par le mini-désastre d'une rhapsodie bohémienne: comment ne pas dénaturer l'essence profondément trash, sans concessions et sidérante du matériau de base ?
Sans grande surprise, le résultat se situe entre les deux rives d'un roman fleuve tempétueux mais canalisé. L'aspect catalogue de quelques hauts-faits du Crüe est aussi salutaire (quelques détails bien graveleux sont scrupuleusement portés à l'image) que paradoxalement fade: en privant les quatre débiles obsédés de baise et de défonce de l'évolution de leurs doutes, l'acceptation de leurs erreurs et du regard lucide mais avec recul sur ces années folles, l'exercice tourne légèrement à la démonstration creüse. L'utilisation de l'effacement du quatrième mur ne suffit pas, on attend un contenu cinématographiquement plus spectaculaire, ce qui semble au bout du compte un fuckin' comble.
Pire peut-être, l’honnêteté et surtout la sincérité finale des quatre musiciens, qui transpire à travers les pages moites de la version papier, est ici totalement absente. La formidable leçon de survie du témoignage écrit se transforme ici en banale et énième rédemption hollywoodienne.
L'histoire du livre, majoritairement racontée à quatre voix, se retrouve un peu bancalement recomposée à l'écran pour ne laisser finalement à voir que la surface des choses, ce qui représente précisément l'inverse du projet de l'ouvrage de Neil Strauss.
Reste donc un film rock naviguant un peu curieusement entre moments trash et épopée Disney, dont on pourrait presque se demander ce qui pouvait justifier une production Netflix, alors que les épisodes qui lui servent de colonne vertébrale justifient les plus hautes marches du podium de la crétinerie géniale du rock'n'roll.
Il y a donc la-dedans un paradoxe insoluble, qui ne me permettra pas de répondre à une des questions que je me posais avant de voir cette version scénarisée non exempte de furieux défauts: comment accueillir ce film lorsque l'on connaissait rien au groupe avant de le découvrir ? J'imagine que vous me tiendrez au courant.
Je vous laisse hurler avec (ou contre) le diable.