Je crois que j'ai un vrai faible pour les losers magnifiques, en particuliers si ce sont des cinéastes (c'est le job que j'aimerai faire plus tard, donc forcément il y a une part d'identification dans mon amour pour eux). J'avais adoré "Ed Wood" de Burton principalement pour cette raison-là. Alors forcément, quand j'ai su le biopic sur son successeur contemporain, Tommy Wiseau (oui, il a réussi à le succéder en seulement un film, alors qu'il en aura fallu plusieurs pour Wood), ça ne pouvait que m'emballer. Pourtant, je n'ai pas encore vu "The Room", faute à trop de films à voir en priorité avant, et je ne connaissais de l'histoire de "The Room" que quelques anecdotes de tournage et le fait qu'on ne savait ni l'âge ni les origines de Wiseau. Et je crois que c'est principalement pour cette raison que "The Disaster Artist" fut réalisé: pour ceux qui n'en savaient pas plus que ça. Tout le monde a arrêté de parler de "Moonlight", mais depuis presque 20 ans, tout le monde parle de ce nanar légendaire qu'est "The Room". Son histoire ne pouvait qu'être fascinante. Elle l'est, et ma foi je crois que la retranscription est fidèle (sauf l'anecdote du départ successif des acteurs sur le projet: étonnement, on n'en parle pas, on évoque tout juste le renvoi de deux techniciens, et encore on sait pas trop qui ils étaient...).
Pas mal de spectateurs ont reproché au film de passer beaucoup de temps à raconter comment Wiseau a rencontrer son pote, et comment ensemble ils ont décidé de monter le futur Manneken Pis de 2003 (vous apprécierez ma comparaison j'espère). Ils auraient voulu passer directement à la phase "making-off reconstitué", ce qui es tout-à-fait compréhensible puisque c'est évidemment la partie la plus excitante du film. Mais c'était aussi, justement, ma crainte: qu'on ausculte tout ce qui a fait que Wiseau et son comparse se sont retrouvés à faire ça. Je voulais, également, que cette histoire-là devienne aussi intéressante que celle de la création de "The Room". Et perso j'ai pas été déçu ! Bien évidemment, je me suis tout de suite pris d'affection pour Wiseau (qui est peut-être, avec Saez, la seule personnalité vivante que j'aimerai rencontrer): sérieux, ce personnage est magnifique. Certes, j'imagine que les auteurs ont quand même un peu édulcoré son comportement, mais il a un regard (parfaitement retranscris par un James Franco impeccable) tellement emprunt de rêves détruits et d'une vie qui n'a aucun repère visuel, que je ne peux qu'être touché. Son pote, joué par un Dave Franco que j'arrête pas de confondre avec son frangin (et ça fait chier), est lui aussi tout-à-fait attachant. Ils forment eux deux un duo conditionnés pour la défaite, mais qui ont décidé de le contrer de toutes leurs forces. Et c'est Bô. Donc moi, j'ai franchement kiffé voir grandir leur amitié (ou pas), avec un humour hilarant, beaucoup de dynamisme et des séquences d'émotion qui ne tombent pas comme des cheveux sur la soupe. Certes, les dialogues ne sont pas révolutionnaires, par contre la mise en scène a un vrai truc en plus: j'ai pas vu "The Room", mais même moi j'ai reconnu les positions du cadre à l'identique du film original. Et ça aussi c'est Bô.
Et puis la seconde partie, donc la conception de "The Room", brillante d'absurdité jusque dans la source de son financement, c'est juste l'éclate. J'ai pas lu le livre dont il est adapté, mais on sent bien quand même que c'est exactement le genre d'aventure minable que peut provoquer quelqu'un comme Wiseau, justement grâce à la première partie. Je maintiens que Franco a tout de même réussi à jouer encore plus mal que Wiseau pour la scène la plus culte de "The Room". La fin, avec la projection privée qu'à réussi à monter Wiseau, est assez critiquable en effet: impossible d'imaginer que le premier public du film ait réagi de cette manière. Parce que c'est pas des petits rires, c'est l'hilarité générale, on a l'impression que du gaz a été dispersé dans la salle à cet effet ! C'est caricatural, certes, mais après réflexion, n'est-ce pas un rassemblement de tous les rires qu'aura provoqué ce film, en une seule scène, histoire de montrer l'ampleur nanardesque de l’œuvre qui aura insufflé la planète ? Et puis, le fait de voir Wiseau verser sa larme, revenir en essayant de se sauver la face, puis enfin dédier son film à son seul ami... J'suis un faible je sais. Mais c'est plus fort que moi, quand on parle des loosers magnifiques qui se sont jetés dans leurs rêves mêmes sans outils, je trouve ça sublime d'humanité, et malgré tout exemplaire.
Je vous conseille vraiment cet excellent film, parce que j'ai passé un excellent moment. Toutefois, les comparaisons entre "The Disaster Artist" et "The Room", juste avant le générique de fin, c'était dispensable.