À l’origine c’est une croyance, croyance dans ce que l’on perçoit d’abord des choses et des attitudes, de la posture des gens, d’un regard ou d’une moue, du maintien d’un pied dans un escarpin en cuir. D’Evelyn qui, en passant par la forêt et la bibliothèque du village, se rend chaque jour à vélo faire le ménage dans une vieille demeure d’inspiration gothique recouverte d’arbres et de mousse. C’est là que vit Cynthia, lépidoptériste reconnue, autoritaire et stricte. Quand par exemple Evelyn, entre le tapis à brosser (à genoux) et le bureau à épousseter, oublie de laver à la main l’une de ses culottes, Cynthia la punit, lui ordonnant d’aller s’allonger dans la salle d’eaux pour une bien étrange cérémonie…
Et puis c’est la nuit. Et ce que l’on croyait établi se délite alors, la nuit, au lit dans les draps : Evelyn et Cynthia forment un couple, sont ensemble dans la vie. Un couple la nuit, mais changeantes le jour. Ce dévoilement, très vite annoncé, va permettre à Peter Strickland de s’attarder sur la liaison complexe entretenue par les deux femmes, et ce que l’on croyait finalement établi s’épuise encore, le deuxième jour, quand l’on découvre qu’Evelyn ne s’épanouit que dans le jeu et la sujétion, et Cynthia, à l’inverse, dans une relation stable et normative, lassée des passions insatiables de sa compagne. Leur ménage se flétrit ainsi, lentement, confrontant les plaisirs doloristes d’Evelyn à l’amertume silencieuse de Cynthia.
Les rôles, qui semblaient parfaitement définis au départ (dominée / dominante), vont peu à peu se révéler trompeurs… Loin du lesbianisme excessif des années 70 décliné à toute les sauces (prisons de femmes, maîtresses nazies, vampires saphiques, féminisme débridé…) dont Strickland honore et célèbre ici ses illustres ambassadeurs (Jesse Franco, Jean Rollin, Just Jaeckin…), The duke of Burgundy raconte une histoire d’amour qui s’étiole d’un trop d’emprise et de dépendance, nimbée d’un érotisme suranné où les désirs, enfouis ou plus concrets, se mêlent à un sadomasochisme multiple (bondage, facesitting, ondinisme, enfermement, soumission…).
Il y a, à l’instar de Berberian sound studio, tout un fétichisme précis (talons aiguilles, bottes, lingerie, bas, soie, corset…) décliné pour exprimer le microcosme ritualisé des héroïnes (celui d’Evelyn en particulier) et évoquer cet instant où le fantasme, enfin assouvi, se révèle plus déceptif qu’espéré, imaginé et attendu. Strickland, auteur singulier et passionnant, s’affirme ici dans un zèle d’élégance et de maîtrise. Musique envoûtante (de Cat’s eyes, duo formé par Faris Badwan, chanteur de The horrors, et l’artiste Rachel Zeffira), photographie ouvragée, décors, garde robe, mise en scène : tout est superbe. Tout n’est que soupirs, suppliques et sensualité, magnifiés enfin par deux actrices au charme voluptueux (Sidse Babett Knudsen, la star danoise de Borgen, et l’étrange Chiara D’Anna).
Le film convoque bien sûr quelques chefs-d’œuvre (The servant, Persona, L’obsédé ou même La pianiste quand Evelyn énumère et détaille ses exigences à Cynthia comme le faisait Erika à Walter) tout en parvenant à moduler son propre univers, charnel et mortifère, et ses propres fantaisies (papillons omniprésents, aucune figure masculine, délires sensoriels…). Si l’intrigue finit malheureusement par tourner en rond, donnant l’impression que Strickland, dans le motif de la répétition, ne sait plus vraiment quoi dire ni quoi (dé)montrer de son sujet (sinon l’échec intime d’une tyrannie relationnelle), The duke of Burgundy reste une flânerie somptueuse dans la psyché tourmentée de deux femmes douloureusement amoureuses.
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