Thé et Sympathie par Tanguydbd
Thé et Sympathie est un film sorti en 1956, c’est l’un des premiers mélodrames de Vincente Minnelli qui sera suivi des chefs d’œuvre « Comme un torrent » et « Celui par qui le scandale arrive ». Le mélodrame est un genre très prisé de l’époque, au même titre que le film noir ou la comédie américaine mais au détriment de ces derniers, le genre subit le désintérêt des contemporains, au point que Thé et Sympathie est difficilement trouvable en DVD aujourd’hui (c’est la même chose pour les films de Douglas Sirk). C’est évidemment injuste. Thé et Sympathie est par exemple la symbiose parfaite des formes esthétiques dont pouvait relever le mélodrame dans les années 1950.
Le film raconte l’histoire de Tom Lee, un jeune étudiant sensible aux arts et désintéressé des préoccupations des garçons de son âge (qui se rattachent plus au sport, relations sexuelles, alcool et tutti quanti). De par cette différence d’intérêt, il est victime des persécutions de ses camarades, questionnant et remettant en question sa sexualité. Sa solitude va lui permettre de se rapprocher de Laura Reynolds, la femme d’un professeur incomprise par son mari et vivant dans un environnement dans lequel elle peine à trouver sa place.
A la vision de Thé et Sympathie, difficile de ne pas penser que les Etats Unis sont un pays malade, rempli de contradictions et oscillant entre le Beau et la bêtise crasse. Ici, le fossé se situe entre l’Art représenté par le personnage de John Kerr et les jeux adolescents débiles représentés par les camarades de ce dernier. L’antithèse peut paraître outrancière mais elle permet la confrontation entre deux « camps » et souligne l’effet dramatique de certaines scènes car elle est constamment au service du récit. Là où Thé et Sympathie se démarque du mélodrame, c’est dans son organisation temporelle. Il est en effet composé d’un long flashback où le personnage principal se souvient d’une période précise de sa vie. Ce choix narratif contraste avec la densité de l’action qui caractérise le mélodrame biographique, prompt à raconter une destinée entière. De façon paradoxale, le film s’apparente à un rêve, malgré les passions dont les personnages ont à souffrir. L’œuvre de Minnelli est traversée par le rêve, encore plus dans Thé et Sympathie, puisque le rêve va se heurter aux limites du réel.
Au niveau de l’esthétique, le flashback est dominé par les couleurs chaudes, chaque personnage disposant d’une couleur et de ses variantes. Ces couleurs composites renforcent l’aspect irréel de l’histoire et rapprochent le film de la peinture, le raffinement de certaines scènes (la plage, le jardin) atteignant très souvent des sommets de beauté. Vincente Minnelli aimait rappeler l’artificialité de son cinéma, un cinéma spectacle, qui de par sa nature de divertissement, permet de fissurer la barrière entre le réel et le rêve. Durant tout le film, Tom Lee ne sait pas qui il est, il ne se voit que comme quelqu’un de différent, qui attire les moqueries de ses camarades, les foudres de ses professeurs et la déception de son père. C’est la même chose pour Laura Reynolds qui est enfermée dans son rôle d’épouse, insatisfaite et bloquée dans un lointain passé d’une histoire amoureuse. Le film représente cet apprentissage de soi-même, la revendication de la liberté et l’affirmation de la différence. La scène du sous-bois est équivoque : dans un décor brumeux enchanté et presque irréel, les personnages principaux s’unissent dans un grand moment de tendresse, et trouvent ce qu’ils cherchaient durant tout ce temps, Laura Reynolds parvenant à faire découvrir à Tom Lee sa virilité à lui, se sacrifiant elle-même et son couple.
La fin du flashback laisse place au retour du temps présent et à la situation des personnages dix ans après, montrant avec tristesse la nostalgie d’un temps passé, celui du rêve qui n’est plus : Tom Lee croise un nouvel étudiant dans son ancienne chambre, porteur d’une nouvelle histoire et d’un nouvel avenir. Il ne lui reste plus qu’à écrire et, comme lui fait remarquer Laura Reynolds dans sa déchirante lettre d’adieu (« vous avez romancé certains passages de notre histoire »), entretenir la machine à rêves.