Devoir de mémoire
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La 93ème édition des Oscars qui a eu lieu cette année s’est déroulée dans un contexte très particulier, mais elle a récompensé plusieurs artistes et œuvres, mettant des films comme The Father en avant avant leur sortie française. L’étalage de récompenses sur l’affiche pouvait générer la crainte de vivre le syndrome du « film à Oscars » mais, fort heureusement, il n’en est ici rien.
La vieillesse et la maladie d’Alzheimer ne sont pas des sujets faciles à traiter, et ce point était justement l’un des principaux enjeux de The Father. La rencontre avec cet homme âgé mais encore bien en forme, fort de caractère, dont sa fille vient souvent lui rendre visite, permet de poser le décor et de laisser présager ce qui est redouté, c’est-à-dire la chute inéluctable. Mais comment tourner cela ? Le spectateur pourrait craindre un film académique et tire-larmes, accentuant les émotions et suivant un chemin balisé, se perdant alors dans des artifices qui l’empêcheraient de véritablement traiter son sujet. Dans The Father, l’approche de la maladie et de ses conséquences est toute autre.
Grâce à des effets de mise en scène et à un scénario adapté, The Father ne fait pas que raconter l’effondrement de la vie d’un homme, mais il la fait vivre au spectateur. Ce qui paraît acquis au cours du film est rapidement balayé par une incohérence qui remet tout en question : pourquoi ce personnage change-t-il d’apparence ? Cette scène n’a-t-elle pas déjà eu lieu ? Combien de temps s’est-il réellement écoulé depuis le début de l’intrigue ? The Father déforme le temps et la réalité pour nous immerger dans l’esprit en perdition du personnage principal, créant chez le spectateur des sentiments d’anxiété, d’oppression et de tension. On devine ainsi ce qui affecte le père, mais aussi son entourage, qui se retrouve également atteint par les effets de cette mémoire défaillante.
Le cinéaste joue ainsi avec les acteurs en les intervertissant à l’envi pour brouiller les pistes, en répétant certains passages, et en créant surtout un climat anxiogène. Avec des jeux de lumière qui accentuent les ombres, des cadres qui enferment les personnages, et des ruptures dans le ton employé, The Father vient lorgner vers les codes du thriller pour faire naître chez le spectateur l’angoisse qui affecte déjà les personnages dont il suit l’évolution. L’émotion, elle, fait son apparition plus tardivement, quand la réalité ne peut plus être fuie et que, dans des instants de lucidité, la terrible vérité éclate au grand jour. C’est alors que toute la puissance du jeu des acteurs, Olivia Colman et, surtout, Anthony Hopkins, en tête, vient nous cueillir.
C’est là la grande force de The Father, de parvenir à n’émettre aucun jugement, à créer de l’empathie pour chacun et, surtout, à retransmettre, grâce au pouvoir du cinéma, ce que c’est réellement, de perdre la mémoire et de voir sa propre vie disparaître devant ses yeux. Florian Zeller propose ainsi un premier long-métrage de grande qualité, également porté par de grands acteurs, mais surtout guidé par une vision et des parti pris judicieux, qui font en effet de The Father tout sauf un « film à Oscars », faisant preuve de pertinence et déjà d’une grande maturité cinématographique.
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Créée
le 29 mai 2021
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