Version complète sur mon blog : « The First Slam Dunk » de Takehiko Inoue : comme si nous y étions !
Slam Dunk est de ces mangas qui ont fait l’objet d’un culte et d’une adoration au pays du soleil levant, mais n’ont pas eu la popularité qu’ils auraient mérité d’avoir chez nous, amateurs de fromage qui pue. Au Japon, bien avant la sortie du film, c’est un carton et un phénomène social et culturel sans précédent : en plus de grandement populariser le basket dans les lycées durant les années 90 et de créer une bourse d'études pour les étudiants pratiquant ce sport via la maison d'édition Shueisha, Takehiko Inoue le créateur de Slam Dunk a été récompensé d'une distinction spéciale pour service rendu au sport.
En France les fans jurent peut être (trop) souvent par le "Big Three" et les titres du moment les plus populaires comme My Hero Academia ou Jujutsu Kaisen, mais au Japon Slam Dunk a une popularité telle qu'il a été considéré en 2012 comme la deuxième lecture préférée des lecteurs de manga entre One Piece et Dragon Ball. L'animé diffusé dans les 90's a eu plus de 100 épisodes et 4 films d'animation sur la même période. Et l'adaptation cinématographique diffusée en France cette année n'est réalisé par nulle autre que le père de cette licence.
Bien qu'il ait trouvé une place chez nous dans les librairies, rien ne garanti un succès sur le sol français mais on pourra déjà se consoler avec sa performance colossale au Japon, en Corée du Sud et en Chine à l'heure ou ce film sortira le 26 juillet sur le sol français. D'autant que le film fait le choix, assez audacieux, de se focaliser non pas sur Hanamichi comme le fait principalement le manga de Takehiko Inoue, mais justement sur le meneur de jeu, Ryota Miyagi qui va être nos principaux yeux et principales oreilles pour ce film. Film dont le titre The First Slam Dunk est intentionnel puisque le mangaka et réalisateur a affirmé en interview qu’il a pensé ce film comme une expérience de redécouverte pour les fans du manga, et une introduction pour ceux qui n’ont pas encore commencé la lecture afin de rendre le film accessible.
Avant tout je dois confesser ceci, quand j’ai vu les premières bande-annonce je n’étais pas aussi chaud que je l’aurais souhaité : voir Inoue et Ebara ainsi que Toei Animation opter pour un style en 3DCG pour animer les personnages (une image graphique en 3 dimensions auquel les animateurs japonais ont souvent recours depuis quelque temps sur certaines productions), ça ne me mettait pas dans l’ambiance. Sans avoir vu les adaptations animées de Berserk et Kingdom, les extraits du net ont déjà montrés ce qu’une 3D mal foutue au Japon donnait le plus souvent.
Pourtant, le studio Toei Animation, les 2 réalisateurs et les principaux directeurs de séquences comme Naoki Miyahara, Toshio Ohashi, Haruka Kamatani ou encore Yasuhiro Motoda se montrent bien plus perspicace et minutieux en matière d’esthétique que ne laissaient supposer les trailers : la 3DCG étant principalement exploité pour les scènes de basket (bien que certaines d’entre elles ont été réalisées en 2D) ou des séquences spécifiques tandis qu’ils emploient les dessins traditionnels en 2D pour les scènes de vies de Ryota Miyagi. Et croyez-le ou pas, mais dés lors que le mouvement s’active et que la caméra filme les matchs : on oublie complètement cet aspect tant le formalisme et le doigté de Takehiko Inoue en termes de montage et découpage resplendissent.
Si il y a bien un aspect que j’espérais retrouver avec le film d’animation et grâce à la présence de Takehiko Inoue, c’était son sens de la narration visuelle puisque Slam Dunk était un exercice d’immersion sans précédent entre la mise en case, la continuité du mouvement d’un joueur lorsqu’il dribble ou fait une passe, la gestion de l’espace d’un terrain de basket, le travail de cohérence du mouvement et du déplacement, et surtout la manière de faire évoluer ses personnages le temps d’un match en nous faisant ressentir ce qui se passait mentalement chez chacun d’eux.
Ce défi là est relevé haut la main et va même au-delà. Lors des matchs, on est constamment aux côtés des joueurs mais Inoue varie ses angles et travaille (avec le même soin qu’on lui connait) l’immersion à tel point qu’à partir d’un moment, on a davantage la sensation d’être dans les gradins que dans une salle de cinéma. Yep, c’est immersif à ce point-là, les angles de caméra sont précis et Inoue garde toujours une proximité avec les joueurs des deux équipes sans pour autant étouffer les spectateurs, le mouvement est fluide en plus de recourir astucieusement à des effets de style « économe » en animation japonaise pour rendre l’immersion plus grandiose (comme le « spinline » avec ses hachures en diagonale à pleine vitesse en fond d’image pour donner une sensation de vitesse ; les ralentis qui évitent la surenchère et sur lesquels Neil Blomkamp et Zack Snyder devraient prendre exemple), les mots sont économes pour des raisons que les fans du manga connaissent, et est-ce qu’on parle du montage sonore ?
Le sens maladif du détail va jusqu’à utiliser les petits signes des joueurs pour se faire comprendre (ou mouvement de pied, un bruit de crampon sur le sol, un regard), à créer des silences durant un long au moment pour un enjeu intime ou une tournure de premier ordre (une blessure critique pour un joueur, une remise en question face à un adversaire supérieur ou encore un twist au match) et à jouer avec l’atmosphère de la foule pour rendre le plus réaliste possible l’atmosphère de la salle. Ça n’aurait peut-être l’air de rien pour un spectateur lambda, mais ces rajouts sont loin de relever du simple détail capricieux : ça rajoute du corps et surtout ça donne une vraie âme au match en version animée là ou le papier stimule surtout l’imagination du lecteur tout en travaillant aussi la cohérence du mouvement, de l’espace et des enchaînements tactique au basket.
La forme est une chose et les moyens sont là pour qu’en matière de divertissement pur, The First Slam Dunk fasse bien plus que simplement faire le job (ce n’est pas peu dire). Mais qu’en est-il du fond ? Et par là j’entends deux questions : est-ce qu’il permet d’introduire un nouveau public à Slam Dunk ? Et peut-il toujours s’adresser aux fans de la première heure qui connaissent déjà très bien le manga d’origine ? Mes avis que la réponse est affirmative, même si il peut y avoir quelques points pouvant échapper à la compréhension d’un néophyte.
Arc spécifique et avancé du manga obligé, Inoue réintroduit quelques figures en caméo que connaissent bien les fans du manga : Haruka Akagi la fille dont est amoureuse Sakuragi, sa bande de potes voyous au grand cœur, le président du club de Judo, quelqu’un qui ne connait rien au manga ne saura pas forcément ce qu’ils font ici mais ça encore, ça n’est pas si désarçonnant étant donné sur quoi Inoue et Ebara se focalisent principalement. Ensuite, le découpage entre les flash-back autour de Miyagi et le match de basket pourra également déstabiliser une partie du public en matière de rythme (moi ça m’a pas posé de souci) puisque The First Slam Dunk a pour défi de réintroduire son œuvre par le point de vue d’un autre personnage et avec une ambiance vraiment différente du mélange de comédie/sport et dépassement de soi que propose le manga.
Cependant ce changement de ton n’est pas une mauvaise chose. Au contraire, dans le cas présent ça permet surtout d’enrichir davantage un manga qui trouve un équilibre idéal entre la simplicité, l’universalité de ses messages et la sophistication de sa narration. Et de redécouvrir un personnage sans pour autant le trahir, avec un visage qu’on ne lui attribuait pas à l’origine, et surtout une histoire familiale en rapport avec son attachement pour le basket qui enrichit un peu plus le propos de l’œuvre de Takehiko Inoue.
Parmi les auteurs de manga, Takehiko Inoue est de ceux qui impliquent avec brio, en narration, la célèbre règle :
Show, don’t tell !
Car la BD est un art aussi visuel que le cinéma ou les jeux vidéo, et parfois il est bien plus judicieux de faire supposer et de dire avec des images fortes plutôt que de recourir au verbale quitte à devenir professorale dans ses leçons (et donc, par défaut, pompeux et lourd). Le Monsieur est resté fidèle à cette habitude et il laisse le spectateur comprendre par lui-même ce qu’il veut ou a besoin de savoir.
La team Shôhoku, après tout, n’est pas réputé pour être une équipe de grand parleur. Leurs actions et la brièveté des mots en disent bien plus long, de même qu’un simple geste permet de montrer parfois le parcours accompli par deux personnages qui ne s’entendaient pas à l’origine, mais se montrent par la suite un réel respect à leur manière (Sakuragi et Rukawa diront l’inverse par fierté, ceux qui ont lu Slam Dunk comprendront ????). Ryota Miyagi a droit à ce traitement, et Inoue a l’intelligence de développer une dualité surprenante entre lui et sa mère à la suite d’un drame familial qui donnera une vision bien différente du monde du basket à chacun d’eux.
Encore une fois, sans trop dire : l’une voudra à tout prix éloigner le basket de sa vie pour effacer un souvenir tragique trop douloureux, tandis que Miyagi s’y accrochera mais développera une attitude de monsieur « j’me la pète » qui ne jouera pas toujours en sa faveur, et ça ne rendra son rapport que plus conflictuel avec sa mère et aussi plus compliqué avec certains membres de Shôhoku mais avec une évolution dans le bon sens avec le naturel qu’on connait à l’écriture d’Inoue
(le caractère d’Akagi qui ne joue pas non plus en sa faveur, Mitsui qui aura viré racaille et en viendra aux mains avec Miyagi, Rukawa avec qui il n’aura qu’un seul échange aboutissant sur un accord mutuel).
Cette règle du montrer plutôt que de dire, on le retrouve également sur le terrain ou l’on retrouve/découvre le caractère des autres joueurs : de Sakuragi en tête brûlée grande gueule mais aux talents athlétiques indéniables jusqu’au taciturne Rukawa en passant par la tête de piste, Akagi, dont on devine la grande volonté de s’accomplir dans sa dernière année de lycéen en tant que joueur. L’équipe en charge du film au sein de Toei Animation est si minutieuse qu’elle ne laisse rien au hasard et nous fait pleinement apprécier et savourer la simplicité des leçons tirés par ce film (et par extension du manga) à travers la folie et la passion de la mise en scène qui a de quoi renvoyer à l’école plusieurs films de sport. L’ascension en matière de dilemme personnelle, de dilemme de groupe ou même de situation de crise est telle qu’on finit par suer métaphoriquement autant que les joueurs.
Sans compter que pour un match de basket ou on entre en plein dans le sujet, The First Slam Dunk n’est pas si hermétique que ça pour comprendre comment fonctionne le basket. La pression de zone et le slam Dunk sont simple à comprendre au regard, le rebond également, et surtout l’intérêt des temps morts pour réorganiser la stratégie d’une équipe n’a pas à être expliqué, en matière d’accessibilité le film est assez généreux là aussi. Et c’est quelqu’un qui détestait le basket pendant les cours de sport aux années collège et lycée qui vous le dit.
Et enfin, la bande-sonore dépote tout autant que la direction artistique et la retranscription de l’ambiance : Satoshi Takebe (qui a travaillé sur La montagne au coquelicots et Aya et la sorcière… tout le monde peut se tromper) et Takuma Mitamura ont composé une BO homogènes entre les musiques de rythme pour le match et les morceaux plus légères et détachés de l’environnement lors des scènes de vie. Dans les deux cas, on peut difficilement dire qu’on n’est pas impliqué, encore une fois. Sans oublier la participation du groupe The Birthdays pour le morceau d’ouverture, The Rockets, ainsi que le groupe 10-Feet pour l’électrique Dai Zero Kan en morceau de conclusion du match qui confirme l’incroyable tonus qui habite cette adaptation.
Dai Zero Kan
Après Suzume et Spider-Man Across the Spider-Verse, je pensais que le cinéma d’animation de 2023 rongerait son frein après deux pépites sur le premier semestre en attendant la sortie de Wish. Mais l’un des maîtres incontestés du manga est venu nous rappeler qu’il n’avait rien perdu de son talent affirmé dans les années 90 et les années 2000 avec Slam Dunk puis Vagabond, et qu’il était en mesure de la rendre cinématographique de la plus belle des manières.
Aidé par un doublage belge de très bonne facture (à l’exception d’Akagi qui a une voix trop grasse à mon goût même pour le physique du personnage ; et non, je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir en VOST), The First Slam Dunk : c’est comme aller voir son équipe favorite dans une discipline lors d’une finale de compétition internationale et la soutenir de toute son âme. Entre sa direction artistique baigné d’une maîtrise en tout point, les retrouvailles ou la (re)découverte de l’équipe de Shôhoku, sa réalisation fulgurante et d’une vivacité rafraîchissante, sa musique énergique et une simplicité de leçon de vie qui fait mouche, l’animation japonaise démontre une fois de plus qu’elle est encore capable de proposer des expériences atypiques et exceptionnelles que d’autres, dans le paysage occidental, ne sont pas forcément en mesure de vendre. Et qu’importe si il n’est pas un succès national en France, le fait qu’il ait si bien conquis le public d’autres pays et qu’il jouit d’une communauté discrète mais existante en France me fait dire qu’il n’est pas encore trop tard pour donner un grand coup de projecteur à l’un des meilleurs mangas de sa génération.