Quand j’ai découvert Sion Sono en 2013, j’ai été ravi d’entrevoir une filmographie prolifique, avec plein de projets en cours, et plusieurs merveilles déjà passées.
Mais on peut se demander si tant de films en si peu de temps, parfois plusieurs par an, n’est pas un frein à la qualité. Si aucun film du passionné japonais n’est à jeter, il faut bien avouer qu’après Why don’t you play in hell ?, et malgré un Tokyo Tribe démentiel, il manquait toujours quelque chose dans ses œuvres.
Ce quelque chose qui les rend inoubliables.
Puis en 2019, Sion Sono nous sort le projet le plus fou de tout le catalogue Netflix : The Forest Of Love.
Il est assez compliqué de résumer le film.
En gros, il nous fait pénétrer dans une forêt dont chaque arbre est un fil que Sion Sono a toujours su tisser, et qui donne une nouvelle image unique dont on connaît déjà les racines.
On retrouve énormément de thèmes chers au réalisateur, d’idées, et parfois presque de scènes. Ainsi, il est question de cinéma, avec des apprentis cinéastes et des mises en abîmes plus intelligentes qu’il n’y paraît, de famille, avec son dysfonctionnement et sa violence, d’amis, avec des rencontres en pleine rue, de sexe, avec sa découverte et ses mensonges, et de mort, avec le deuil, le suicide, et l’absence de futur.
Pour l’un des personnages, « la vie c’est le cinéma, le cinéma c’est la vie », mais en même temps, « la vie est une blague ». Alors le cinéma aussi, est une blague. Mais ici, cette blague n’est pas drôle, elle n’amuse pas. Elle est tragique et sans fin, les personnages ne « réussissent même pas à mourir ».
Ils essaient d’aller de l’avant, de cicatriser, mais ont l’air de s’enfoncer. De plus en plus profondément.
Le film glisse doucement dans un sinistre gouffre, si bien que l’on prend à un moment conscience, d’un coup, que l’horreur dans laquelle on se trouve est si terrible qu’il sera impossible d’en ressortir indemne.
Mais il y a en même temps des passages si poétiques… Je pense par exemple à cette sublime séquence de l’entrée finale dans la forêt. Celle-ci m’a marqué pour bien des raisons.
J’ai toujours trouvé qu’au cinéma, la musique classique possédait un immense pouvoir de fascination. Sion Sono parvient toujours à sublimer ses images lorsqu’il utilise ces morceaux (ici, le Canon de Pachelbel) déjà monumentaux, ce qui rend certains passages totalement subjuguants.
Il est même parfois dommage, comme dans d’autres films de sa filmographie, que certaines scènes perdent de leur puissance car s’arrête trop brusquement, ou trop tôt.
C’est peut-être qu’au milieu de l’enfer, on ne veut pas que la lumière s’éteigne.
The Forest of Love n’est pas aussi puissant que Love Exposure, pas aussi déjanté que Why don’t you play in hell, pas aussi marquant que Cold Fish… c’est loin d’être le meilleur film de Sion Sono, mais il contient tout de même certaines des plus grandes scènes de son cinéma, et parvient à être une pièce unique, grande et admirable.
Le cinéma, la famille, les amis, le sexe, la mort… toutes ces graines plantées donnent vie à la grande forêt de l’amour.
C’est là que les personnages se perdent.
Et c’est là que les spectateurs se retrouvent.