Ce titre se veut la traduction en français de 남한산성 (La forteresse de Namhan) ; trouvez l’ânerie.
1636, l’immense, puissante et moderne armée nord-chinoise déferle sur l’actuelle péninsule coréenne, et doit prendre la forteresse de Namhan perchée sur une montagne, pour y vaincre son roi, qui y demeure avec son gouvernement, son village et son régiment, très humble face à l’écrasant envahisseur. Rien à voir pourtant avec l’épopée guerrière héroïque à la chinoise que j’imaginais en voyant l’affiche. Amateurs de voltiges chorégraphiques, passez votre chemin. Cette fresque historique coréenne, au cinéma décidément fin et étonnant, est avant tout une critique et une réflexion socio-philosophico-politique, applicable à toute guerre d’invasion, un film à dialogues et une triple leçon de pragmatisme face aux douleurs et aux solutions sans issue.
D’abord celle d’un village et de ses troupes assiégés, torturés par les engelures d’un hiver glacial, littéralement affamés, où agonisent bêtes, hommes comme enfants, sans autre perspective que la boucherie de chaque tentative de combat. Quoiqu’un peu théâtrale, la mise en scène joue la carte d’un réalisme pessimiste, loin, très loin du monde fantasmagorique des super-héros et des guerres-spectacles.
Toujours dans cette crudité, la dominante du film incarne les intrigues politico-guerrières conséquentes des dirigeants face à l’inflexible ennemi, entre débats et querelles intestines, fourberies affligeantes, stratégies poussives, diplomaties impuissantes, incompétence et superstition des ministres, indécision du roi, perte totale de la confiance et du patriotisme du peuple surexploité qu’ils prétendent représenter, maladresses d’une caste qui ne vit pas dans le vrai monde, et dans lequel se débattent toujours les efforts sans cesse étouffés de deux ou trois notables sortant du lot.
Emergera fatalement de cette funeste impasse la seule dualité éternelle qui s’impose : opter pour l’utopique noblesse d’un idéal, ou le réaliste et avilissant compromis. Car les décennies à venir du pays dépendront bien du débat entre la mort ou la soumission, l’honneur ou le pragmatisme, la résistance ou la collaboration, le massacre assuré ou la survie humiliante, le sens que chacun met dans sa vie ou l’espoir de la conserver. Sans caricature guignolesque facile aux moralisateurs bien au chaud dans leur de salon, la finesse du film exprime la médiocrité comme la noblesse, la lucidité comme l’inconscience des deux bords, avec l’élégance de nous laisser méditer en nos propres valeurs.