Tel l'hidalgo Alonso Quichano, ma chaise pour Rossinante, ma plume, fidèle lance, et le second Héros, brave Sancho Panza, je m'élance, rêveur épris de justice, abattre ces moulins à paroles que sont les critiques acerbes profanées par des auteurs formatés. The Fountain pour Dulcinée, je m'en vais ramener ce chef d'œuvre, pour beaucoup un navet, de l'ombre vers la lumière.

[LIVRE DES JUGES]

Je ne pouvais pas laisser passer l'occasion d'à nouveau partir en croisade contre les critiques trop frileuses. Car, tout comme l'œuvre de Van Dormael, ce petit bébé cinématographique de Darren Aronofsky qu'est The Fountain se fait surtout descendre à cause de son anticonformisme, son originalité et sa complexité. Démonstration de réactions violentes du subconscient de sujets affolés par l'incompréhension :

- « ce film illuminé se perd dans les volutes fumeuses d'un scénario alambiqué et prétentieux. » (Paris Match)
- « Les trois épisodes entrelacés (...) sont mis en scène avec une prétention rare (imagerie chichiteuse, montage archi-alambiqué). L'apothéose pseudo-bouddhiste, d'un kitsch éprouvant, achève de nous abasourdir. » (L'Humanité)
- « Les précédents films de Darren Aronofsky (...) avaient été quelque peu surestimés, mais "The Fountain" est à ranger sans tarder au rayon des âneries » (Le Nouvel Observateur)

Et encore une fois, la palme du ''cassage médiatique comme refoulement d'un ego frustré de n'y avoir rien pigé'' revient aux Inrockuptibles :

- « Si, comme Aronofsky, l'on se prend pour un démiurge mystique, on risque de tomber dans le kitsch psychédélique, dans le nirvana à la sauce Las Vegas. En tout cas, nous ne sommes pas plus avancés sur le sens de la vie. La belle arnaque. » (bien que l'arnaque soit de faire croire que The Fountain veuille donner du sens à la vie, ce qui n'est aucunement le cas.)

Mais voilà que Première saisi lui aussi son arme, et se joint à moi dans ma quête :

- « Son allergie aux conventions et son ambition aveugle risquent de laisser une majorité du grand public sur le carreau ... qui se privera d'une des œuvres les plus fascinantes à avoir foulé les salles depuis très longtemps »

Suivi de près par d'autres qui viennent grossir nos rangs :

- « The Fountain est un poème épique et intimiste, métaphysique et bouleversant. » (TéléCinéObs)
- « The Fountain fait preuve d'une audace et d'une originalité bienvenues (...) une œuvre à fleur de peau transpirant la sincérité, et soutenue par la superbe musique de Mansell et Mogwai. » (Mad Movies)
- « (...) Darren Aronofsky touche une nouvelle fois à la perfection et laisse le spectateur dévasté, repu, en larmes ou en lambeaux. Même pas un chef-d'œuvre, un miracle... » (aVoir-aLire.com)

Auquel de tous ceux-là se fier ? Quel camp choisir ? C'est ce que vous allez décider avec moi dans ces prochaines lignes.

[PREMIER LIVRE DES CHRONIQUES]

Résumer The Fountain est chose peu aisée, mais osons-le quand même.


Nous suivons Tomás-Thomas-Tom, figure centrale magnifiquement interprétée par Hugh Jackman, dans sa quête intemporelle de l'immortalité. Que ce soit le Conquistador Tomás cherchant « dans les jungles de la Nouvelle Espagne » l'Arbre de Vie pour le compte de la reine Isabel ; ou bien Thomas « Tommy » Creo, travaillant dur à son laboratoire pour trouver un remède à la tumeur de sa femme Izzi Creo (autre figure intemporelle sous les traits de la belle Rachel Weisz) ; ou encore Tom, à bord d'un vaisseau-bulle, en route vers une nébuleuse ; ces trois époques, sont rassemblées par un but commun : confronter la Mort. Ces trois histoires se croisent et s'entremêlent, mais jamais ne font marche arrière, et sont animées par des thèmes et des symboles fondateurs au fil de l'intrigue complexe qui se déroule sous nos yeux : l'Immortalité, l'Acceptation (de la maladie, de la fatalité), l'Arbre de Vie, la Nébuleuse Xibalba, l'Ombre et la Lumière.

Des ingrédients épiques.

[LIVRE DES NOMBRES]

Et pourtant, avouons-le tout de suite : ce film est un échec. Sorti le 22 novembre 2006 (27 décembre 2006 en France) Il aura coûté 35 millions de dollars à la Warner Bros., pour un bénéfice global de moins de 16 millions. Et si l'on regarde les divers classements, le film se place, selon boxofficemojo.com, à la 68e position de tous les « films déconseillés aux moins de 13 ans de l'année 2006 », loin derrière Scary Movie 4 ou Big Mamma 2 ... C'est pour dire.

[DEUXIEME LIVRE DES CHRONIQUES]

Mais le film n'a pas été qu'un échec commercial, il a bien failli être un échec complet.

[Genèse] – Après deux premiers films (Pi, Requiem For A Dream), Aronofsky grimpait les échelons de la renommée et s'était forgé un nom et une réputation, surtout grâce au film culte de toute une génération de jeune, Requiem For A Dream. C'est d'ailleurs tout juste après ce second film, en 1999, que Darren jette les premières lignes de "The Last Man" sur sa feuille de script. Trois ans plus tard, en 2002, le projet est renommé "The Fountain" et est prêt à être tourné en Australie. La Warner sort alors le grand jeu pour la prochaine réalisation du jeune prodige, et débourse 70 millions de dollars pour financer le prochain chef d'œuvre. Brad Pitt (grand fan de Requiem) s'engage pour le rôle principal – avant même d'avoir fini de lire le script – et Cate Blanchett pour celui d'Isabel « Izzi » Creo. Les bases du film sont jetées, les décors sont conçus et montés près de Gold Coast, dans le Queensland, au sud de Brisbane, et près de 10 millions sont déjà dépensés en pré-production. Darren trépigne.

[Apocalypse] – Cate Blanchett tombe enceinte. Après deux années et demie de collaboration sur le film avec Darren, Brad Pitt prend peur. La complexité du script le décourage, et il fuit vers Troie. Le cachet – bien plus élevé – du péplum de Wolfgang Petersen aurait-il été son talon d'Achille ? Avec l'annulation des contrats des deux stars bankable du film, la Warner Bros. met temporairement fin à la production du film, sans toutefois l'abandonner. Les décors sont démontés, et vendus aux enchères. Le budget, revu à la baisse. Environ 1500 personnes (familles et enfants compris), venues s'installer en Australie pour les besoins du film, se retrouvent au chômage technique et doivent faire demi-tour.

[La traversée du Désert] – S'en suivent sept mois de disette, où le film est mis au placard. Darren, soucieux de voir son rejeton voir le jour coûte que coûte, se dirige vers la filiale de DC Comics, Vertigo, éditeur de comics américain spécialisé dans le fantastique (Fables, Hellblazer) et abordant des thèmes plus adultes que les habituels comics de chez DC (A History Of Violence, V For Vendetta). Il choisit Kent Williams comme auteur, et lui met le script originel entre les mains, lui donnant tout pouvoir dessus : Kent Williams sera le réalisateur graphique de ce Fountain 1.0, pendant qu'Aronofsky s'acharne à faire voir le jour à un The Fountain 2.0 en cinéma. Avec Ari Handel, co-auteur du script, ils s'attèlent à la réécriture de l'histoire. Exit les combats d'armées à la Braveheart ou Lord Of The Rings, trois conquistadors et une vingtaine de Mayas suffiront. Le film est déshabillé, pelé comme un oignon, réduit à son essence-même. Le film est revu dans un esprit indépendant, avec un budget cependant plus élevé que ce type de film (mais toujours plus inférieur que la plupart des films de nos jours). Avec 35 millions de dollars en poche, Darren pose une seconde fois les premières pierres, deux ans après l'Australie, dans les studios de Montréal, Canada. [Résurrection].

Avec quasiment la même dream team que lors de ses précédents longs-métrages (Matthew Libatique à la photographie, Jay Rabinowitch au montage, Clint Mansell à la musique, Jeremy Dawson et Dan Schreker aux effets-spéciaux, etc.), et certains acteurs fétiches (Mark Margolis, pour qui le rôle du prêtre Avila a été écrit, et que l'on retrouve depuis Pi (1999) – Sol Robeson, le partenaire de Go de Max Cohen – à The Wrestler (2008) – où il joue Lenny, le propriétaire de Randy Robinson – en passant par Requiem For A Dream (2000) – M. Rabinowitz, à qui Harry revend la télé de sa propre mère ; Ellen Burstyn, pour qui le rôle du docteur Lilian Guzetti a été écrit sur mesure, et que l'on retrouve dans Requiem For A Dream dans le rôle de Sara Goldfarb, mère au régime à base d'amphétamines), le nouveau prodige du cinéma s'apprête à nous livrer une œuvre complète et complexe. Afin de mieux la décrypter, un guide d'analyse est disponible dans l'article précédent.

La force du film ne réside pas uniquement dans ses thèmes et son originalité, mais aussi dans sa bande son. Comme depuis son premier film, Pi, Darren Aronofsky accompagne ses films des compositions de monsieur Clint Mansell. Ancien chanteur et guitariste du groupe de punk électronique Pop Will Eat Itself, Clint fut engagé par Darren pour créer sa première bande son de film. Le début d'une longue carrière pleine de succès. Du petit génie de la musique de film, tout le monde (re)connaîtra au moins « Lux Aeterna », thème principal de Requiem For A Dream, magnifiquement interprété par le Kronos Quartet, qui reprendra du service pour The Fountain.

Contrairement à certains compositeurs, que l'on appelle lors de la post-production pour « coller » un fond sonore au film qu'on leur projette, Clint Mansell est toujours impliqué par Darren Aronofsky dès les premières secondes du projet. Ainsi, avec les déboires qu'a connu The Fountain, Clint a eu près de 6 ans pour en composer la musique. La difficulté première pour le compositeur était de savoir trouver la musique pour 3 périodes historiques différentes : le film jonglant sans cesse avec ces trois histoires, passer de percussions tribales à une électro futuristico-spatiale, sans oublier un fond sonore plus contemporain, aurait été inaudible. M. Mansell a donc opté de coller, non pas à l'Histoire, mais à l'histoire. Tomas, Tommy et Tom étant tous trois embarqués dans la même Quête, animés par les mêmes sentiments, la musique reflète donc l'identité de chaque aventure. Au fil du film, l'auditeur attentif pourra reconnaitre des motifs communs dans les morceaux, brodés autour de variations, tous rassemblés sur le morceau de la scène finale, orgasmique, « Death Is The Road To Awe », interprété par le Kronos Quartet et sublimé par le groupe de post-rock Mogwai.


The Fountain n'est pas un film tire-larmes, il n'appuie pas exagérément sur le pathos, c'est un film à fleur de peau. Pourtant, pour peu que vous soyez un tantinet sensible, la musique de Mansell titillera vos glandes lacrymales, à l'image du générique, accompagné de « Together We Will Live Forever », dont une version bien plus poignante existe, avec paroles, susurrées par Antony Hegarty, chanteur du groupe Antony And The Johnsons. Cette chanson se trouve uniquement sur le Myspace de Clint Mansell, sous le titre de « The Last Man ».

(Pour l'anecdote, un autre chanteur devait prêter sa voix à la BO : David Bowie. Darren Aronofsky avoue que son inspiration principale pour l'époque futuriste était l'album Space Oddity (1969), dont le personnage principal, Major Tom, a donné son nom au héros du film. Darren aurait souhaité que Bowie compose une 3e chanson sur le Major Tom, pour le film, mais le projet n'a pas abouti.)

Fort du succès de ses compositions, Clint Mansell s'est vu attribuer, outre le dernier film d'Aronofsky The Wrestler, la bande son de nombreux autres films (Sonny, 11 :14, Sahara, Doom, Smokin' Aces, Un Jour Peut-être, Moon, etc.) et de nombreuses récompenses et nominations (Golden Globes, World Soundtracks Awards, Online Film Critics Society Awards, etc.).

The Fountain peut aussi se vanter d'être un des rares films de Science Fiction actuel à ne pas utiliser d'image de synthèse lors de ses séquences spatiales. Les responsables des effets spéciaux Jeremy Dawson et Dan Schreker se sont dirigés vers Peter Parks qui, en filmant des réactions chimiques dans une boite de pétri, a su réinventer l'Univers. Représenter l'Infiniment Grand par l'Infiniment Petit, voilà ce qui fut fait. Chaque image de l'Espace, les nuages noirs entourant la nébuleuse, la nébuleuse elle-même, Xibalba ... tout n'est que superposition d'images de réactions microbiologiques et chimiques.

Je finirai sur ces termes : Oui, il peut être compliqué en apparence, oui, il peut être peu accessible pour un certain public lambda, mais on ne peut pas ne pas reconnaître le talent de la réflexion, de l'écriture, de la maîtrise, de la caméra ... The Fountain est en tout point louable.

The Fountain est un film a l'ambition incroyable, un pari risqué (à tel point risqué que Brad Pitt a quitté le navire, le laissant sombrer), un pari perdu en salle, mais gagné lors de la sortie DVD. Le film a su s'entourer d'un groupe de fervents admirateurs, à tel point qu'Aronofsky envisage une « version B » de The Fountain, une histoire légèrement différente, racontée avec les scènes coupées. Mais « ce ne sera pas une réalité avant plusieurs années », avoue le réalisateur.

Car « le nouveau Kubrick » (selon Warner Bros.) a d'autres projets sur le feu : Black Swan, avec Natalie Portman, Mila Kunis, Winona Ryder et Vincent Cassel ; Serena : A Novel, avec Angelina Jolie ; Breaking The Bank, inspiré d'un réel braquage ; Jackie, film sur Jackie Kennedy durant les quatre jours suivant l'assassinat de J.F.K, et avec Rachel Weisz ; mais aussi RoboCop, reboot de la franchise lancée par Verhoeven.
Darren aime toucher à tout : thriller psychédélique sur fond de Kabbale et de mathématique que n'aurait pas renié un David Lynch (Pi), drame dynamique sur une adolescence junkie (Requiem For A Dream), science-fiction inclassable et intemporelle (The Fountain), drame quasi documentaire sur un morceau de vie d'un catcheur en fin de carrière (The Wrestler, acclamé par la critique), thriller psychologique (Black Swan), tragédie historique sur fond de Grande Dépression (Serena), ou gros film d'action violent qu'on nous promet interdit aux moins de 16 ans (RoboCop) ; ce cinéaste prodige, parmi les meilleurs de sa génération, sera loin de se répéter et a encore de beaux jours devant lui ...
Tumenihr
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le 18 juil. 2011

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Tumenihr

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