Après tous ces reports et ces rebondissements, il aura fallu prendre son mal en patience pour pouvoir découvrir le nouveau film de Wes Anderson, The French Dispatch. Chaque sortie d’un nouveau film du cinéaste constitue un petit événement dans la sphère cinéphile, et si celui-ci semble faire un peu moins de bruit que d’autres, il avait de quoi piquer notre curiosité.


The French Dispatch, c’est une certaine histoire de la France par un magazine américain dont le fondateur vient de mourir, signant, comme il fut convenu à l’origine, la fin du tirage du magazine, et l’édition d’un ultime numéro. Découpé en plusieurs chapitres, le film se morcelle en sous-intrigues, en commençant par un bref prologue, avant d’embrayer sur la vision du passé et du futur en France selon l’un des journalistes, pour enchaîner sur l’histoire rocambolesque d’un artiste également prisonnier qui acquiert une renommée mondiale après avoir rencontré un vendeur peu scrupuleux, puis nous vivons la couverture de manifestations étudiantes en France qui nous évoqueraient Mai 68, avant d’embarquer dans une histoire mêlant crime et gastronomie.


Des histoires bien différentes et originales, qui constituent une base parfaite pour un film de Wes Anderson, qui n’en serait pas un sans un côté décalé et inattendu. En enchaînant à toute vitesse ces histoires riches en personnages, en détails et en éléments narratifs, The French Dispatch offre une certaine vision de carte postale de la France, embellie par la beauté des images et des plans, bigarrée, mais aussi extrêmement dense, voire cacophonique. Il n’est pas inhabituel de voir un rythme rapide dans un film de Wes Anderson, c’est même ce qui fait sa marque de fabrique, avec cette manière de ponctuer ses scènes pour créer des ruptures, ou de les faire s’enchaîner très vite pour créer un dynamisme enthousiasmant.


Toutefois, The French Dispatch vient confronter le spectateur peu habitué (et même le spectateur habitué) à une difficulté supplémentaire : cette division en chapitres. Dans la plupart de ses films, il s’agissait de raconter une histoire générale, qui pouvait être ponctuée d’inserts venant ajouter du contexte et des ressorts comiques. Ici, il y a plusieurs histoires, elles-mêmes ponctuées d’inserts, créant un enchevêtrement assez tortueux d’intrigues et de sous-intrigues qui motivent la déconnexion et la simple ingestion d’images et de dialogues sans chercher à s’accrocher à un fil conducteur, lequel se trouve ici très bien caché. C’est un film d’une profusion rare, qu’il s’agisse de détails, mais aussi de personnages, avec ce casting colossal, au point de voir des acteurs très reconnus et parfois trop rares à l’écran ne faire ici qu’une brève apparition.


Le grand danger avec The French Dispatch reste l’indigestion, cette démarche assez inédite chez Wes Anderson nous faisant entrevoir les limites de son cinéma. Car il conviendra de souligner la beauté de ses plans, l’ingéniosité dont le cinéaste fait preuve, cette « patte » si remarquable qui permettra à l’amateur de Wes Anderson de ressentir un plaisir esthétique intense devant The French Dispatch. Mais on vient par moments à se demander ce qui justifie tous ces efforts, toute cette maestria, à quoi bon ? Où le cinéaste voulait-il nous mener ? Peut-être voulait-il simplement nous mener nulle part, juste nous faire vivre une expérience unique, à nous détacher de notre réalité quotidienne. Toujours est-il que l’on voit ici la frontière entre le génie artistique et la manifestation parfois irritante de tics qui ne deviennent plus que des prétextes et des choses attendues, quand ce qui caractérise bien le cinéma d’Anderson, c’est l’inattendu. Bien que relativement galvaudé, le terme de « film-somme » pourrait bien s’appliquer à The French Dispatch, tant le cinéaste semble se libérer de toutes contraintes et s’en donne à cœur joie, faisant, quelque part, de Bill Murray son alter ego, pour tenter de nous plonger dans son monde, original, référencé, bigarré, pittoresque, et souvent inaccessible.


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JKDZ29
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le 23 nov. 2021

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