Le nouvel opus de Wes Anderson était sans aucun doute le film le plus attendu de la compétition cannoise. Avec son impressionnant casting de stars – qui, toutes rassemblées, ont dû être transportées en bus pour rejoindre le tapis rouge – son cinéaste adulé et le mystère qui l’entourait, The French Dispatch avait tout pour être l’événement de cette édition. C’est incontestable, il a pourtant quasiment unanimement déçu. Sans doute parce qu’il se démarque par son aridité et sa radicalité dans la filmographie de son auteur, il faut dire qu’il nous reste de manière persistante en tête. Sans pour autant pleinement nous convaincre.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, le cinéma de Wes Anderson a incontestablement imposé sa marque et un style inimitable. Au fil des années, cette signature a pu paraître presque caricaturale, donnant le sentiment d’une œuvre évoluant en vase clos, dans sa petite géographie corsetée. Symétrie des cadres, comédiens automates dans leur mouvement et à la diction maniérée, décors évoquant des maisons de poupées, saturation de détails dans chaque plan, et passion pour les petites histoires nichées à l’intérieur de l’intrigue principal. Cette patte incontestable enchante certains, rebute les autres, c’est inévitable. Sans doute me faut-il dire d’entrée que je ne suis pas très andersonien. Certains de ses films m’apparaissent comme de franches réussites – The Grand Budapest Hotel (2014), Fantastic Mister Fox (2010) – d’autres comme d’ennuyeux et inégaux pensums – Rushmore (1998), A bord du Darjeeling Limited (2007) – sans parler de ceux qui constituent, pour ma part, d’incontestables échecs – Moonrise Kingdomn (2012) en tête. Je ne suis de toute manière pas très friand de l’art décoratif de Wes Anderson, sans pour autant renier son incontestable talent, sa virtuosité maintes et maintes fois prouvée. Je ne faisais donc pas partie des spectateurs les plus excités au moment de découvrir ce nouvel opus tant attendu.
Tourné à Angoulême il y a deux ans, c’est peu dire que ce French Dispatch était espéré par ses admirateurs. Prêt dès mai 2020, il aurait même probablement fait l’ouverture de cette précédente édition du Festival de Cannes, si celle-ci n’avait pas été annulée par l’épidémie de coronavirus. Avec un casting aussi pharaonique, il est clair que sa montée des marches était la plus prestigieuse de cette édition, et que le long-métrage ne pouvait que générer une attente démesurée. Une attente qui, à en croire la mollesse des retours cannois, a été largement déçue, y compris pour les fans de la première heure. Il faut dire que tout paraît un peu insondable dans ce drôle d’objet : d’abord, il est très difficile à résumer. Il s’agit d’une succession d’illustrations d’articles d’un même journal inventé – le « French Dispatch » du titre – édité dans un petit village français imaginaire, drôlement appelé « Ennui-sur-blasé ». Un film à sketchs donc, où les histoires se racontent à toute allure, avec une voix-off ô combien andersonnienne – notamment celle de Tilda Swinton, insupportablement caricaturale en conférencière cabotine – et un mélange de rapidité d’exécution et de saturation des cadres qui donnent vite le tournis, voire peut mettre totalement à l’écart son spectateur.
Autant dire que ce fut mon cas, et que cette projection de gala fut sans aucun doute la plus aride de mon festival – si l’on oublie, et mieux vaut l’oublier, l’abominable, purge des purges, Fièvre de Petrov (Kirill Serebrennikov, 2021) – tant jamais je n’ai réussi à pénétrer cet univers qui m’a paru plus hermétique que jamais. Impossible de s’attacher à un personnage tant ceux-ci sont tous interchangeables, une histoire en remplaçant une autre à toute vitesse, et le métrage accumulant les propositions formelles souvent insondables. Description géographique, illustration historique, fantaisie politique sous forme d’histoire d’amour, comédie de bureau (dans les savoureuses scènes autour du rédacteur en chef incarné par Bill Murray), et j’en passe : les genres s’accumulent dans un rythme effréné sans qu’on puisse se poser un seul instant. Dans la même histoire, passage du noir et blanc à la couleur, ou changement de format d’image ; succession d’exposés en tous genres, de digressions parfois impossible à suivre ; défilé de stars souvent réduites à un simple statut de silhouette muette, voire de figurant ; tout cela finit par devenir totalement éreintant. On entre dans un musée sans explication et sans guide, dans le subconscient d’un artiste dont les obsessions plastiques paraissent tourner à la névrose. Je dois pourtant dire que c’est cette névrose qui, plusieurs semaines après le visionnage, continue de me travailler.
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