Ce qui me rend sensible à l'œuvre de Wes Anderson, plus que son univers visuel ludique et affirmé ou sa galerie d'acteurs et d'actrices épatants, c'est ce thème constant du rapport entre le père et ses enfants, le plus souvent entre un père et son fils, qui provoque en moi une émotion incroyable.


J'y ai été sensible dès le 1er film que j'ai eu l'occasion de voir : la vie aquatique (un explorateur de fond marin apprend à connaitre un fils devenu adulte qu'il n'a pas reconnu à la naissance). Ma meilleure amie m'a ensuite parlé de la famille Tenenbaum que j'ai vu en DVD et qui reste mon préféré à ce jour (un homme fait croire qu'il est mourant pour retrouver sa place auprès de son ex-femme et de ses enfants).


Hors des liens du sang, cette thématique se retrouve dans The grand budapest hotel (entre le directeur et son groom) ou Moonrise kingdom (entre le chef de la police et l'orphelin en fugue).


Dans chacun de ces films, il y a toujours un moment, généralement vers la fin, où je me sens gagné par une émotion très forte (de manière tragique, lorsque le père ou le fils disparait ou, plus joyeusement, lorsqu'une filiation qui n'est pas celle du sang mais celle du cœur se déclare). J'ai appris à guetter ce moment qui fait pour moi tout le charme des films de Wes Anderson.


Qu'en est-il alors de The french dispatch ?


L'émotion qui me touche tant habituellement m'a hélas semblé ici absente (quoique la toute fin n'est pas sans émouvoir). Les très nombreux personnages ne suscitent pas l'empathie. Bref, je me suis trouvé privé de ce que j'aime le plus.


L'émotion exceptée, on retrouve toutefois tout ce qui séduit dans les films d'Anderson : mise en scène efficace, sens du détail poussé à l'extrême, esthétisme visuel reconnaissable, mettant en valeur la cocasserie et le comique des situations, galerie de personnages hauts en couleur.


Seulement, ces qualités sont ici exagérées à outrance, au point de devenir des défauts : le foisonnement des détails, la foultitude des personnages et l'omniprésence de la voix off finissent par rendre l'histoire incompréhensible (c'est accentué lorsqu'on comprend mal l'anglais et que l'on doit lire le sous titrage, en plus de tout ce qu'il faut visualiser sur l'écran pour ne pas perdre le fil...).


Le film est exagérément bavard. Même les scènes d'action pure sont bavardes par le commentaire quasi incessant de la voix off. Il s'ensuit des longueurs, alors que le film ne dure qu'1h43 (j'ai décroché pendant toute une partie de la séquence du kidnapping du fils du commissaire de police).


L'utilisation du noir et blanc apporte un effet visuel indéniable (les personnages sont encore plus beaux en noir et blanc), mais je n'ai pas trouvé de cohérence dans les passages de la couleur au noir et blanc, et vice versa. C'est dommage. Le visuel me semble plus fort quand il sert un propos.


Pourquoi aller voir ce film, me direz vous ?


D'abord parce que, même s'il en abuse, la mise en scène, l'esthétisme et la succession de personnages excentriques restent réjouissants. Autour de ses acteurs et actrices fétiches (Bill Muray, Owen Wilson, Jason Schwartzman, Willem Dafoe, Adrien Brody, Edward Norton, Tilda Swinton, et même Anjélica Houston en narratrice), Anderson réunit un casting franco-américain impressionnant. Je me contenterai de citer les duos qui fonctionnent le mieux selon moi : Benicio Del Toro et Léa Seydoux (le peintre et son modèle); Frances Mc Dormand et Timothée Chalamet (la journaliste et l'étudiant).


Trois raisons m'ont principalement fait aimer le film, malgré ses défauts : l'humour loufoque, la vision décalée de la France et le rapport entre les personnages à travers la création (artistique, intellectuelle, culinaire).


The french dispatch est un vrai bijou au niveau de la cocasserie des situations et de l'humour complètement décalé de ce qu'il raconte. Ennui sur Bazé, décrite comme une ville française de province (et qui en est une, en réalité, puisque le film est tourné à Angoulême) est une vision détournée de Paris, que l'on identifie aux rues pavées, aux grands boulevards, aux toits en zinc des immeubles, aux bus des années 60, aux stations de métro, aux bouquinistes devant une église qui évoque Notre Dame sans être Notre Dame. Filmer une ville de province pour évoquer Paris, déguisée en ville de province, il faut bien Wes Anderson pour être aussi loufoque !


Tout est très surprenant dans ce que montre et raconte le film : l'art et la folie étroitement mêlés au point que le peintre psychopathe peint sur les murs même de l'asile et que son modèle est une gardienne de prison; Mai 68 transposé au mois de mars dans une contestation où les pouvoirs publics et les étudiants s'affrontent via... une partie d'échec (avec en fond musical une chanson de Chantal Goya). Le grand chef Escoffier, devenu Nescafier, détourné en lieutenant cuisinier du commissaire de police, maitre d'une gastronomie davantage japonaise que française, et dont le dîner accompagne la libération du fils du commissaire retenu en otage (élaboration du plan de bataille tout en dégustant les plats raffinés du chef). Niveau comique, la scène finale de la course poursuite (le ravisseur et l'otage dans une voiture, les 4 convives du dîner initial dans l'autre) - entièrement animée - est désopilante.


Si le rapport père/fils, que j'affectionne tant, se retrouve in fine dans la presque dernière séquence du film lors des retrouvailles, en dessin animé, du commissaire et de son fils, il cède le pas à une thématique du même ordre, toute aussi intéressante : celle de l'artiste et de sa muse. Ici, la muse est davantage qu'un modèle ou qu'une source d'inspiration, elle participe à la création : la modèle du peintre est également sa conseillère artistique, la journaliste de simple correctrice devient rédactrice d'une partie du manifeste. L'initiation artistique ou intellectuelle s'accompagnent dans les deux cas d'une initiation sexuelle, le corps et l'esprit restant intrinsèquement liés l'un à l'autre. Seule la création culinaire semble entrainer la destruction du corps (comme quoi, c'est important de manger 5 fruits et légumes par jour...).


Dans The french dispatch, Wes Anderson livre une vision toute personnelle des traits qui caractérise la France à l'étranger, notamment chez les américains : Paris, l'Amour, l'art, la gastronomie, la littérature, mai 68... qu'il détourne allègrement, avec excentricité. Malgré son coté bavard et ses longueurs, cela suffit à rendre le film passionnant.

Créée

le 7 nov. 2021

Critique lue 188 fois

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Floridjan

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