The French Dispatch est une véritable merveille cinématographique (d’un point de vue visuel) qui ne manquera pas de ravir les amoureux•ses du cinéma Andersonien. Ce dernier est en effet connu pour son style visuel distinctif et son utilisation unique de la couleur et de la composition, et ce film ne fait pas exception. Toutefois, c’est peut-être là que le film trouve son défaut principal, plus maniéré encore qu’A bord du Darjeeling Limited sorti en 2007, le film devient probablement ce qu’on reproche parfois au réalisateur : son côté carte postale.
Wes Anderson est un réalisateur, scénariste et producteur américain ayant acquis une grande notoriété pour son style de cinéma unique et visuellement distinctif. Ce qui est, notons-le, assez rare. Parmi les réalisateurs au style véritablement distinctif tant visuellement que dans la mise en scène et scénaristiquement, très peu de noms de cinéastes remplissant les salles me viennent en tête (Guillermo del Toro ? Zack Snyder ? Michel Gondry ?). Né en 1969, il a commencé sa carrière cinématographique avec un court-métrage intitulé « Bottle Rocket » en 1994, qui a attiré l’attention de la critique. Il est particulièrement connu pour ses films tels que The Royal Tenenbaums, Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel et donc, The French Dispatch. Ses films sont souvent associés à un style visuel coloré, symétrique et minutieusement conçu, ainsi qu’à des personnages excentriques, des dialogues incisifs et des histoires invraisemblables. Je dirai même qu’il est célèbre pour son fameux « regard caméra », les apartés de personnages, quelques scènes animées, et des travellings impressionnants dans des décors fixes très travaillés. Anderson a remporté de nombreux prix tout au long de sa carrière, notamment un Golden Globe pour « The Grand Budapest Hotel« , très mérité, et un BAFTA pour « Moonrise Kingdom« , que j’avais beaucoup apprécié. Il a également été nominé pour de nombreux autres prix prestigieux, tels que les Oscars et les Emmy Awards.
Le casting est souvent le point fort de ses affiches. Il collabore régulièrement avec les mêmes personnes, dont les acteurs Bill Murray et Jason Schwartzman, et les musiciens Mark Mothersbaugh et Alexandre Desplat. Sans surprise, l’affiche de The French Dispatch est excellente et reprend quelques têtes qu’on avait vues dans The Grand Budapest Hotel (Léa Seydoux et Mathieu Amalric).
En cinéaste visionnaire dont l’esthétique visuelle unique et l’approche narrative créative ont captivé les cinéphiles du monde entier, Wes Anderson propose pour la énième fois un film coloré et décalé. L’histoire est portant assez banale et le synopsis ne m’aura pas convaincue d’aller dans les salles obscures pour le voir. Tout se déroule dans une petite ville française fictive, Ennui sur Blasé et suit les événements qui entourent la publication du dernier numéro d’un journal anglophone éponyme très inspiré du magazine The New Yorker dont Anderson est grand lecteur. Chaque article est raconté comme une histoire indépendante, avec des personnages différents, mais ils sont tous liés les uns aux autres par leur implication dans le journal. On oscille ici entre absurdité, humour noir, pastiche de sa propre pratique et parodie du film de genre. C’est justement là qu’on ne suit pas bien Wes Anderson, là où d’habitude, il réalise quelque chose de singulier et de personnel, qui raconte l’immigration, l’ascension sociale, les codes sociaux et les carcans de la société, dans The French Dispatch, l’on voit qu’il veut à la fois suggérer une critique cinglante de l’art contemporain, de l’autorité, de la politique, sans jamais toucher du doigt une forme de réalité.
Sa manière de filmer parodie le film français, la lenteur européenne peut-être, bien présente dans nos productions cinématographiques. On voit Denis Ménochet jouer un gardien flemmard de la prison d’Ennui, Ennui, la petite ville elle -mème est une sorte de cliché de la banlieue parisienne d’il y a 50 ans. L’art contemporain, souvent vu comme un art moderne né en Europe, devient un art né d’une folie, d’une manipulation, d’une sorte d’arnaque, comme pour auto-parodier ce que font les « producteurs et créateurs d’art » aujourd’hui à travers l’absurdité du marché de l’art, et notamment par les figures juives qui jalonnent l’Histoire et ici composent une grande partie du film. Sortant de la prison d’Ennui, le réalisateur poursuit ses histoires incongrues en suivant ensuite les revendications de jeunes assoiffés de nouvelles libertés. Dans cette histoire-là, c’est l’Américaine Frances McDormand qui vient tempérer le sang chaud des Français et Françaises énervés, dans un pastiche de la crise de mai 1968, elle est celle qui apporte la pacification et la raison pour calmer les émancipations colériques des uns et des autres : l’Amérique impérialiste et son interventionnisme soft continuent son chemin. C’est amusant aussi parce que le village américain relié au journal The French Dispatch (journal de la liberté) est au Kansas, au milieu des champs de maïs.
Le casting est assez impressionnant comme je le disais, avec des acteurs tels que Tilda Swinton, Frances McDormand, Bill Murray, Owen Wilson, Adrien Brody, Léa Seydoux et bien d’autres. On note que la plupart du temps, si les rôles sont impeccables, ils sont aussi très plats et l’on ne ressent aucune empathie pour aucun d’entre eux, au contraire de tous les autres films de Wes Anderson, spécialement son tout dernier, The Grand Budapest Hotel, très émouvant.
La réalisation est magnifique, avec des décors et des costumes soigneusement conçus qui donnent l’impression d’être dans un monde réel et très crédible, même si dans ce film-là, on sent bien le côté « catalogue » ou « magazine » de déco. La palette de couleurs est vibrante, rose, jaune, blanc et gris s’enchaînent et les plans de caméra sont soigneusement composés pour créer des images saisissantes, la scène du début avec les locaux du journal et la description d’Ennui étant très réussies.
Cependant, oui il y a un cependant comme expliqué au-dessus, certains pourraient considérer que le film est un peu trop stylisé, ce qui pourrait distraire voire détourner les spectateurs et spectatrices de l’histoire elle-même. Si les trois histoires (plus celle du journal en elle-même) sont courtes, elles ne supposent pas qu’on se concentre sur le film à 100% car tout semble parasité par un style plus froid, moins chaleureux quoi, et moins pertinent. De plus, le film est assez long et pourrait sembler lent pour certains spectateurs qui ne sont pas habitués au style d’Anderson. Ce manque de rythme provient sûrement de l’incompatibilité des trois sous-intrigues qui parcourent le long métrage.
Il faut reconnaître tout de même que ce qui est intéressant et beau dans les autres films d’Anderson, est agaçant ici :
Tout d’abord, Anderson utilise des plans fixes et symétriques pour créer des images très esthétiques, avec une composition travaillée. En l’espèce ici, on a plutôt l’impression que ce décor figé fait très carton, maquette ou publicité. Les scènes sont souvent filmées en plan large, avec des personnages placés de manière précise en arrêt puis en mouvement, comme dans une chorégraphie filmée, ce qui donne à la fois un sentiment de perfection visuelle, et en l’occurrence l’impression d’une mise en scène théâtrale et artificielle.
Qui plus est, Anderson utilise une palette de couleurs vive et saturée, avec des teintes pastel, pour créer une esthétique vintage et nostalgique. Son choix s’est porté ici sur une saturation plus dramatique et malgré des tons chauds, le film est froid. Il passe de la couleur criarde aux profonds gris, noirs et blancs. Son attention aux détails reste pertinente, la musique parfaitement intégrée, tout est coordonné avec maitrise. Les personnages sont caricaturaux, et étonnamment très agaçants, Benicio Del Toro, en pervers, maniaque dépressif et artiste fou ne convainc pas, Léa Seydoux la gardienne de prison n’a aucun charme et ne sourit pas (c’est fait exprès!), les personnalités sont ici moins excentriques qu’à l’habitude. Seul Timothée Chalamet crie un peu plus fort et montre encore sa belle gueule. Les moments comiques sont moins intenses et les ressorts humoristiques plus rares.
Enfin, la bande originale du film est également très importante dans le style d’Anderson mais elle est ici plus négligeable qu’à l’habitude malgré une incursion dans le répertoire de la musique française, donnant un grain spécial au film, une ambiance particulièrement nostalgique. On échappe pas à la reprise d’Edith Piaf.
Dans l’ensemble, le style cinématographique de Wes Anderson dans The French Dispatch est original et captivant. Il crée un univers visuel et narratif qui est à la fois nostalgique et moderne, tout en étant parfaitement équilibré et maîtrisé. C’est dans l’attachement aux histoires et aux personnages qu’on sent la faille et l’épuisement d’un genre. Son films s’essouffle dès la seconde moitié de la première partie.
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