Pour son dernier film, THE FRONT RUNNER, Jason Reitman s’essaye au domaine politique… il aurait mieux fait de rester sur son terrain de prédilection, les relations familiales.


THE FRONT RUNNER de Jason Reitman revient sur la chute du sénateur américain Gary Hart (Hugh Jackman, au brushing impeccable), favori aux primaires du parti démocrate en 1987. Suite aux révélations sur sa vie privée, il s’était retiré de la course. Ouvrant ainsi un boulevard au républicain Georges H.W. Bush, qui gagna haut la main face à Mickaël Dukakis, candidat démocrate par défaut.


Le film met en perspective les quatre semaines qui ont fait basculer un jeune candidat brillant et plein d’espoir pour cette Amérique qui sortait de l’ère Reagan à un “womanizer” sans foi ni loi. C’est même le premier exemple de l’officialisation de la porosité entre vie publique et vie privée et du regard de défiance qu’ont pu porter les américains sur un homme qui, mentant à son épouse, avait de fortes probabilités de mentir à son pays.


Ce qui est intéressant dans THE FRONT RUNNER, c’est le traitement en parallèle qui est fait par le réalisateur. Il offre en effet deux points de vue à ce scandale politico-médiatique : celui de l’équipe de campagne de Gary Hart et celui des journalistes qui vont révéler et relater l’affaire. On voit ainsi l’équipe du sénateur très investie envers ce candidat tellement visionnaire et prometteur, qui avait le don de rendre compréhensible le langage économique au quidam moyen.


Certains membres de l’équipe avaient bien flairé le changement de l’air du temps et compris le besoin de la société américaine à dépasser le cadre politique et déborder sur le champ du privé et de la famille. D’autres, tout comme Gary Hart, refusaient catégoriquement de sortir du terrain traditionnel et de s’adonner à toute stratégie marketing en ce sens. Par défi, le sénateur manquera clairement de prudence dans ses frasques et se fera pincer par des journalistes peu scrupuleux.



THE FRONT RUNNER est un film assez inégal qui, trente ans après les
faits, ne choque, voire n’intéresse plus grand monde.



Car 1987 semble aussi être un tournant dans le monde des journalistes. On les voit s’interroger sur la notion de la vérité en politique, les limites de leurs métiers, et surtout leur éthique. THE FRONT RUNNER montre précisément cette réflexion sur la distance qu’il leur faut tenir vis à vis des candidats pour continuer à conserver leur objectivité journalistique et éviter d’être influencés. Le film est aussi une critique acerbe de ce changement de vision du métier. Et cela n’est pas une surprise, puisque le scénario a été coécrit par l’ancien journaliste politique Matt Bai, à partir de son livre “Toute la vérité est sortie : la semaine politique”. Le film s’attarde notamment sur le début de relation amicale entre le candidat et Parker (Mamoudou Athie), un jeune journaliste du Washington Post, montré comme participant plus ou moins à sa chute.


Pris la main dans la culotte de Donna Rice (Sara Paxton), Gary Hart se retrouve dos au mur et sommé de s’expliquer. Le réalisateur ne s’attarde absolument pas sur la nature de la relation du sénateur avec la jeune femme. Il se focalise sur les seules conséquences de cette affaire (ou affair) sur l’homme. Mais sa mise en scène apparaît alors particulièrement confuse, peut-être pour renforcer l’idée même que son équipe de campagne a été plus que déboussolée. Déçus d’avoir misé sur ce cheval bancal, on voit les membres déserter, comme le directeur de campagne Bill (J.K.Simmons). Ou tenter de sauver une situation dont ils mettent du temps à comprendre à quel point elle est désespérée. Telle une bande de branquignoles complètement paumés, ils tiennent à l’écart Donna Rice, essayent de lui tirer les vers du nez et de la rendre responsable. Puis face à l’ampleur du désastre imminent, ils décident de la lâcher brutalement aux fauves, à savoir les journalistes.


Si le spectateur ne ressent aucune empathie avec le sénateur, il en ressent pour son épouse Lee (Vera Farmiga), qui fait face à une humiliation publique. Mais on ne croit guère aux regrets de Gary Hart, ni à sa pseudo rédemption. On regrette même que le film donne au spectateur l’impression d’être pris pour un naïf. Car THE FRONT RUNNER est un film assez inégal qui se termine par une vision à l’eau de rose aussi nunuche et poussive de l’amour dans le couple à l’américaine et d’une morale à deux dollars. Et qui offre trente ans après les faits une démonstration qui ne choque, voire n’intéresse plus grand monde.


Sylvie-Noëlle


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le 15 janv. 2019

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