Le prestige singulier rencontré par A Ghost Story avait fait de David Lowery un réalisateur attendu : l’homme, prolixe et éclectique, capable de s’illustrer dans des productions on ne peut plus conventionnelles comme dans un cinéma audacieux et presque expérimental, avait suscité une attente démesurée lors de la diffusion des premières images de The Green Knight.
Longtemps retardé du fait de la pandémie, prévu pour des festivals puis annulé, distribué inégalement à l’international, il y a gagné cette aura dangereuse, où les délais involontaires exacerbent les attentes.
Récit médiéval, The Green Knight cherche, dès sa très belle ouverture, à en mettre plein la vue. Comme le promettaient les multiples plans offerts dans la bande-annonce, la quête suivie par son protagoniste est une traversée de tableaux patiemment ouvragés, superbement photographiés, animés par ce désir de vouloir figer chaque image pour en apprécier la splendeur. Après un prologue dans les obscurités du château, le récit laisse place à une ouverture sur une lande au ciel chargé, et une série de rencontres qui déclinent toute les épreuves et péripéties propres à la légende écrite. La variation des couleurs, des lumières et des paysages, des champs brumeux et des forêts menaçantes, constitue une finalité en soi : le personnage, dans ce récit initiatique, n’est que de passage, ballotté d’un mensonge à un autre, d’une manipulation à une apparition, d’un château à une maison hantée.
C’est là le sujet même de son aventure : donner, au couard bien placé à la cour, mais pas encore chevalier, car sans histoire, la possibilité d’une aventure. On attend de lui une légende, dont le premier chapitre fut trop facile à écrire, et dont il ne maîtrise pas l’épilogue. Alors qu’il a déjà été transformé en marionnette pour les enfants du château, il doit ouvrir la voie de la quête à venir, qui consiste simplement à cheminer vers sa mort certaine.
Toute l’esthétique ouvragée de The Green Knight renvoie à cette question cruciale : celle de la représentation, et de la grandeur qu’on inscrit dans la légende à destination de la postérité. Dans ce château originel, la lenteur et la pose sentencieuse des phrases présente des personnages qui semblent être déjà les statues qui leur succéderont. La question de la destinée paralyse et détermine, ce qu’explique très clairement la vision qu’aura Gauvain à la fin.
Dès lors, on comprend mieux le parti-pris d’une œuvre qui fonctionne avant tout comme une enluminure, et dans laquelle la direction artistique fait vibrer ce qui ne semble plus exister pour des figures réduites à l’état de fonctions narratives. Les longues scènes muettes, la musique omniprésente, la contemplation des paysages, l’insolite de quelques visions n’offriront pas d’immense surprise ou de décrochage déstabilisant : au contraire, la légende reprend toujours ses rails, malgré les sorties de route, et en dépit, aussi, des questions posées : « why greatness ? Why is goodness not enough ? » demande la compagne de Gauvain avant son départ. Car la magie elle-même participe de cette invincibilité : si elle protège le protagoniste (par la mère, puis par l’amante), elle garantit aussi, et surtout, la bonne tenue d’une histoire dont l’issue est déjà écrite.
Au terme de son périple, la propre question de Gauvain sera encore plus à mettre au compte du film lui-même : « Is this really all there is ? ». Le respect du jeu (« It’s only a game », lui avait dit le roi) confère à tout ce qui précède une linéarité déroutante, qui semble annuler tout ce qu’il a pu traverser avant d’arriver à destination. Cette annihilation du récit précipite la vision d’une narration par anticipation où la route de la légende et son cortège de tristesse poursuit son cours, et à laquelle il décidera de couper court. Alors, seulement, dans l’accession de l’homme à la grandeur, une autre histoire pourra s’écrire ; et la beauté des tableaux parcourus garderont la trace d’un sillage qui n’aura pas été vain.
(7.5/10)