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Inutile de tergiverser : "The Highwaymen" n'a rien d'un grand film, et tout d'un divertissement standard, parfait pour une soirée détente. Il bénéficie d'un budget confortable pour nous présenter une reconstitution crédible de l'Amérique profonde dévastée par la Grande Dépression, et de tout le professionnalisme US habituel. Les acteurs, rien moins que Kevin - danse avec les loups - Costner et Woody - True Detective - Harrelson, font ce qu'on attend d'eux sans trop se fatiguer : c'est-à-dire que Costner ne fait, comme toujours, pas grand-chose à part être là, tandis que Harrelson fait le malin, et le fait très bien. Le réalisateur, l'anonyme John Lee Hancock a cédé son siège au directeur photo (des paysages superbes...) et au décorateur, ce qui fait que la mise en scène pointe aux abonnés absents. On s'intéresse vaguement à l'histoire, visiblement assez proche des faits réels, comme le traditionnel défilé de photos d'époque nous le confirme pendant le générique final, sans non plus être vraiment passionnés…


… sauf que l'histoire de "The Highwaymen", ce n'est pas exactement n'importe quoi : c'est celle de la traque de Bonnie & Clyde par deux US Marshalls tirés de leur retraite forcée par des politiciens à court d'idées devant l'insurrection qui couve dans le sillage du couple de forcenés insaisissable. Soit l'autre face, le point de vue opposé de celui du génial "Bonnie & Clyde", qui suivait à la trace les amants magnifiques et leur bande de déclassés, et collait au mythe sans craindre de le désamorcer en pointant l'irresponsabilité et les tares de tout ce joli petit monde… Et là, en le regardant comme le contre-champ du chef d'œuvre d'Arthur Penn, cinquante ans plus tard, eh bien, le visionnage de "The Highwaymen" devient sacrément passionnant. D'abord parce qu'il est un parfait signe des temps, puisqu'il retire aux victimes de la crise la fierté de leur rébellion, et condamne leurs égéries à un statut pitoyable de terroristes dégénérés : en 2019, le cinéma est du côté de la police, pas des rebelles, et le rêve des sixties est bel et bien enterré.


Et du coup, le film part avec un sacré handicap d'antipathie, qu'il va paradoxalement réduire peu à peu, jusqu'à nous amener à une conclusion étonnante - qu'on n'aura pas forcément venue venir -, lors de la fameuse scène de mitraillage final, dont l'abjection et l'amertume rejoint celle du film du Penn. Si Bonnie Parker et Clyde Barrow, qu'on choisit - non sans intelligence - de ne jamais nous montrer jusqu'à la fin, sont clairement médiocres, incapables de rivaliser avec le couple iconique Faye Dunaway / Warren Beatty, au moins le film prend acte de ce que leurs exécuteurs ne sont guère mieux qu'eux, le même genre de tueurs - rescapés antédiluviens quant à eux de la brutalité de l'ère des pionniers -, seulement du bon côté de la Loi.


Au final, pour ne pas être un grand film - il souffre par exemple de vouloir être également un commentaire sur la "modernité", en critiquant la radio à bord de la voiture qui empêche le conducteur de penser, en pointant l'apparition du culte populaire de la célébrité, ou encore la vénalité de la presse à scandale, ce qui ajoute un recul critique mal venu par rapport à une histoire qui devrait au contraire être vue dans son seul (riche) contexte historique -, "The Highwaymen" est un film honorable, qui, contrairement à ce que l'on aurait pu craindre au départ, ne baisse pas les yeux devant une société qui ressemblait déjà diablement à la nôtre.


[Critique écrite en 2019]
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EricDebarnot
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le 14 avr. 2019

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