The Hit ressemble par bien des aspects à une relecture du classique d'Hemingway "The Killers", un livre qui nous présentait un personnage, Ole Anderson, qui sait qu'il doit être éliminé par deux tueurs à gages dans un futur proche. A noter que ce livre a déjà été adapté en deux films noirs américains, une fois par Robert Siodmak (1946) et une fois par Don Siegel (1964), ce qui est intéressant puisqu'ils sont tous traités de façons différentes.
Dans ce roman, le protagoniste reconnaît qu'il est inutile de fuir, puisqu'il dit que la mort arrive de toute façon à un moment ou à un autre. Comment échapper à l'inévitable? Pourquoi ne pas couper court à la chasse et rencontrer son destin de front?
L'adaptation de Siodmak suit un enquêteur d'assurances qui veut essentiellement découvrir la raison pour laquelle Ole a été tué. L'adaptation de Siegel quand à elle, suit les tueurs à gages (Lee Marvin et Clu Gulager).
Essentiellement, la version de Siodmak semble prendre la forme d'un film d'enquête classique, celle de Siegel est quand à elle une adaptation du thème philosophique de Hemingway.
Parlons maintenant du film de Stephen Frears, The Hit, essai néo-noir également inspiré de ce roman. Premièrement, il est intéressant de relever la direction prise au niveau du scénario, en effet nous sommes conscients de la solution au mystère dès le début du film. Willie, un gangster membre d'une bande commettant des braquages, témoigne contre ses anciens partenaires en échange d'un pardon et d'une retraite confortable en Espagne, lorsqu'ils sont confrontés avec le témoignage de Willie, le reste de la bande chante "We'll Meet Again" de Vera Lynn à l'intention de leur ancien collègue. Dix ans plus tard, après avoir passé son temps à se prélasser dans la littérature et la culture du monde, Willie est confronté à une paire de tueurs à gage: Braddock (John Hurt) et Myron (Tim Roth). Willie se rend sans discuter, et le trio entame un voyage pour le conduire de l'Espagne à Paris, où les anciens partenaires de Willie l'attendent pour se venger.
Des complications, comme d'habitude, s'ensuivent. Lors de son séjour dans un appartement de Madrid, Braddock est forcé de kidnapper une jeune femme espagnole nommée Maggie (Laura del Sol) et de tuer son petit ami, un gangster (Bill Hunter) qui aurait signalé l'emplacement de Willie pour toucher une récompense de la police. Maintenant embarqués avec deux captifs dans leur remorque, Braddock et Myron continuent leur long voyage vers Paris. Pourtant, sur la route, les perspectives de Willie envers son assassinat tout proche commencent à changer. Il essaie de manipuler subtilement Myron, le plus jeune et impulsif des deux tueurs. Comme Myron ressent une attirance pour Maggie, Willie lui apprend qu'elle ne sortira pas vivante pas du road trip et que si Myron veut s'enfuir avec elle, il vaut mieux éliminer Braddock au plus vite. Malgré les encouragements de Willie, le groupe continue de se rapprocher de plus en plus de Paris, le forçant à repenser sa reddition initiale et à prendre des mesures drastiques.
Ce qui est intéressant avec The Hit, c'est la façon dont il joue en permanence avec nos attentes. Dès le début du visionnage, on pense regarder un film sur le personnage de Willie, qui finirait par mourir aux mains de ses assassins, sans grande surprise. Pourtant, étant donné que le film n'est pas un film d'enquête, l'intrigue doit changer d'arc narratif pour progresser. Il n'est pas question ici de la structure assez simple que Frears et le scénariste Peter Prince ont donné au film, comme par exemple la transformation de Willie, qui est entièrement motivée par la psychologie et non par la nécessité d'une séquence d'action violente (poursuite ou fusillade). L’intérêt lors du visionnage de ce film est de trouver quel est le véritable cœur dramatique du récit, et c'est là qu'est tout son intérêt justement, alors que dans un thriller classique on aurait passé beaucoup de temps à observer le personnage dit "principal" et l'élaboration de sa méthode pour se sortir de sa situation, on a l'impression que le film s'attache presque plus aux ravisseurs. On observe ainsi la réaction émotionnelle de Braddock face au personnage de Willie, cet homme condamné à une mort certaine pourrait-il changer sa propre vision de la vie? Est-il resté le froid meurtrier calculateur que nous voyons au début du film, ou se rend-il compte sa propre mortalité?
Ces légères transformations psychologiques sont subtilement traitées ici. Willie, interprété par Terrence Stamp est d'abord confiant dans sa décision, en essayant de bluffer ses meurtriers dans la confusion avec des monologues sur la nature de la vie et de la mort. Pourtant, plus le film progresse, plus Willie commence à douter et l'on commence à réaliser à quel point ses paroles et ses actions ne sont qu'une façade.
Le caractère et la représentation de Braddock, le personnage de John Hurt, sont difficiles à évaluer, étant donné qu'il est plutôt contemplatif et silencieux, les yeux cachés derrière des grandes lunettes de soleil Ray-Ban. Comme Stamp, cependant, nous commençons à remarquer des changements subtils dans son comportement à mesure que le film continue, en particulier lors de séquences où ils sont confrontés aux sautes d'humeur de Myron, ce dernier jouant le rôle de métronome entre les deux protagonistes principaux.
Le film comporte également une superbe trame sonore, composée en grande partie par l'espagnol guitariste de flamenco Paco de Lucia avec un titre éponyme réalisé par Roger Waters et Eric Clapton. La photographie du film capte avec merveille les rues ternes et déprimantes de Londres et les juxtapose avec le surexposé des paysages arides de la campagne espagnole. Dans l'ensemble, Frears a réussi à livrer un très bon film réinterprétant l’œuvre de Hemingway à sa manière, une vision peut-être plus personnelle et stylisée que celle de ses prédécesseurs.
Frears est un cinéaste relativement sous-estimé de notre côté de la manche. C'est peut-être en raison de la diversité de son matériel, ses réalisations les plus connues en témoignent: My Beautiful Laundrette (1985), Les Liaisons dangereuses (1988), High Fidelity (2000), et The Queen (2006). Essentiellement, il s'agit d'un cinéaste tellement éclectique que son œuvre ne possède pas ce qui pourrait être considéré comme une signature personnelle. Pourtant, Frears a tranquillement et humblement contribué au genre du néo-noir au cours des dernières décennies, que ce soit dans son adaptation de Jim Thompson, Les Arnaqueurs (1990), le drame des immigrants Dirty Pretty Things (2003), ou The Hit, pour le coup. Une réalisation assez étrange pour un anglais, compte tenu que la demande en film noir est intrinsèquement largement américaine, et c'en est d'autant plus louable.