Titre : "Depends on whether they're smart pretending to be idiots or idiots pretending to be smart."


Les antagonismes aussi frontaux que profonds qui nourrissent et structurent les "débats" de la société américaine contemporaine a ceci de fascinant qu'ils parviennent, par des chemins de traverse, à enfanter de telles satires. Des régions cinématographiques où le mauvais goût est arboré sans détour, mais avec cette portion raisonnable de sens et de perspicacité qui le légitiment, à mes yeux, totalement. The Hunt, c'est ainsi un postulat de base très simple, tenu jusqu'au terme de sa démonstration : soit un petit groupe de cadres supérieurs rassemblés dans un manoir afin de s'adonner à une réactualisation très pragmatique de la chasse à courre, puisqu'il est question de chasser d'autres citoyens américains. Du côté des chasseurs, de riches démocrates (ce n'est jamais précisé mais le propos est explicite) sûrs de leurs convictions et prêts à tout pour les faire respecter, et du côté des proies, des rednecks républicains (même remarque) racistes, sexistes, climato-sceptiques et complotistes. Il suinte un épais manichéisme de tous les pores de ce concept, bien évidemment, et la couche de gore tout aussi épaisse qui enveloppe le message ne laisse place à aucun doute : on est bien du côté de la satire, et pour peu que cela ne soit pas au-delà de notre seuil de violence sanglante, l'expérience se révèle extrêmement jouissive dans ses soubresauts comiques.


Difficile de ne pas associer ce concept à celui d'un autre film sorti récemment, réalisé par Ike Barinholtz (acteur dans The Hunt) : The Oath, qui traite exactement du même sujet (l'impossible dialogue entre les différentes parties dans l'Amérique contemporaine) mais d'une manière beaucoup moins sanguinaire. La forme aura d'ailleurs eu raison du film, puisque sa sortie fut dans un premier temps repoussée à cause des fusillades de Dayton et d'El Pason en Août 2019, puis à cause de la pandémie de COVID-19.


The Hunt n'en finit pas d'aborder les tares de toutes les parties du spectre politique nord-américain, dans un second degré forcément très clivant, avec la suffisance des uns opposée à la connerie des autres. Le résultat de ces divergences fondamentales est un maelstrom inaudible et d'une incommensurable explosivité. L'acharnement méthodique avec lequel la protagoniste (incroyable Betty Gilpin) s'échine à ne pas se faire massacrer trouve un très bel écho dans la frénésie tout aussi méthodique de sa principale adversaire (Hilary Swank dans le rôle d'Athéna, déesse de la guerre, on avait compris). Un survival qui laisse certes s'écouler une bonne quantité d'hémoglobine et de tripes mais qui laisse aussi une place de choix aux dialogues pour alimenter la dimension satirique. On n'en finit pas de s'insulter parce qu'on a dit "Noir" au lieu de "Afro-américain", parce qu'on a utilisé "guys" pour désigner un groupe comportant plusieurs femmes, parce qu'on verse dans l'appropriation culturelle en s'habillant avec un kimono. Avec des punchlines du type "climate change is a fact, bitch!" et des bouteilles de champagne qu'on préserve en plein milieu d'une baston, parce qu'il faut pas déconner quand même. Les préjugés fusent dans tous les sens, les postures sont binaires et gravées dans le marbre, bref, le mépris est omniprésent. Dans son mépris infini, d'ailleurs, Athéna aura sous-estimé son adversaire ("You read Animal Farm? — Yes, ma'am, I did.") et participé à son propre anéantissement.


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Morrinson
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le 29 mars 2020

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