On trouve dans le plan final de The Immigrant une parfaite illustration de ce que James Gray appelle en interview le "universal struggle" : une dualité entre espoir et désespoir, avec tout ce que cela implique de déchirement pour les individus, et donnant notamment aux films de l'américain leur cachet profondément déprimant. Car chez Gray, espoir et désespoir (ou rêve et réalité, absolu et matérialité) sont destinés à se renvoyer la balle dans l'intimité des personnages, sans jamais réussir à se rejoindre. Encore une fois, le plan final l'exprime bien : l'écran est divisé, donnant ainsi au cinéma le pouvoir de réunir ces deux entités, mais seulement pour émettre l'idée qu'ils seront à jamais séparés, condamnant les personnages à une solitude de laquelle ils ne s'échappent jamais vraiment.
Cette dualité, c'est également celle des institutions qui nous poussent à nous élever, à tendre vers un idéal, et ainsi révèle toutes les dérives malsaines d'une logique poussée dans ses retranchements les plus extrêmes. L'Amérique, bien sûr, qui ouvre le film avec cette Lady Liberty qui tourne le dos à ses immigrants, les poussant ainsi à adopter un ultra-individualisme avec comme seul espoir de liberté de devenir le préféré de l'esclavagiste (ici autant Bruno que le capitalisme dans tout ce qu'il a de plus déshumanisant). Mais aussi la religion, plus spécifiquement le catholicisme de Ewa, et sa poursuite de pureté nous amenant à détester ce que le fait de survivre dans un environnement hostile nous pousse à faire.
La dualité présente dans The Immigrant nous pousse donc à l'auto-dépréciation, et fatalement la détestation de soi. Cette logique écrasante trouve sans doute sa personnification la plus ambiguë dans le personnage d'Emil, alias Orlando le magicien. Ce dernier joue le rôle de l'artiste, le libre, celui prêt à poursuivre l'idéal (son envie de Californie, déjà synonyme d'utopie dans Two Lovers), mais par ce rôle révèle surtout aux autres personnages tout ce qu'ils souhaitent éradiquer chez eux. Autant Ewa, qui en étant forcée de monter sur scène par le magicien est rappelée à sa condition de prostituée, que Bruno et son incapacité à séduire la pureté que représente le personnage de Cotillard (il racontera par ailleurs l'histoire d'une ancienne relation, et de comment Emil la tua dans l’œuf en levant le voile sur la profession immorale de son cousin).
La sobriété de la mise en scène de Gray sied parfaitement au traitement qu'il donne à ses personnages. Celle d'un regard pudique et empathique, où les actions importent moins que les motivations qui les dirigent, donnant ainsi au film une grâce de tous les instants, non pas malgré la dureté des événements ou des idées traitées, mais bien grâce à elles. De quoi revenir à ce plan final, et à la dureté comme à l'obligation d'accepter cette dualité qui peut finalement dialoguer : Ewa repart vers une vie meilleure avec sa sœur, mais pour ça a dû passer par l'enfer, et Bruno repartant vers l'enfer, avec l'idée qu'il aura aimé et permit à l'être aimé de vivre.