Wow, voilà un film qui n'a pas volé ses récompenses au dernier Festival de Gerardmer (Prix du public et celui de la critique) !
Alors, parler de ce deuxième long-métrage d'Eskil Vogt, scénariste attitré de Joachim Trier, comme d'un croisement entre "Chronicle" et "Morse" est sans doute trop réducteur mais je vais partir de cet amalgame simpliste dans le but, je l'espère, d'exprimer tout mon enthousiasme pour ces "Innocents" pas comme les autres.
Des jeunes personnages, des pouvoirs et tout ce qui va en résulter en termes de quête de soi, de choix et de basculements moraux, la comparaison avec "Chronicle" est évidente mais, là où le film de Josh Trank n'était pas forcément d'une finesse absolue dans sa progression, un peu à l'image des adolescents américains qu'il mettait en scène finalement, celui d'Eskil Vogt a l'intelligence de se fixer avec bien plus de subtilité sur des enfants, à un stade de l'existence où les émotions sont encore à l'état brut, aussi primaires que fluctuantes, avec une perception du bien et du mal en pleine construction. Et c'est bien entendu là qu'intervient la référence à "Morse" car, en plus d'avoir en commun le cadre d'une forteresse désolée de HLM dans une banlieue urbaine et cette ambiance nordique qui cherche à nous envelopper viscéralement au sein de la froideur de son réalisme, les deux films placent leur baromètre à la hauteur de leurs petites têtes blondes délaissées, se saisissant de leur nature volatile inhérente à l'apprentissage de nouvelles émotions pour les amplifier par le prisme d'éléments fantastiques.
Comme le film de Tomas Alfredson, "The Innocents" dispose ainsi de jeunes protagonistes finement traités en ce sens, la plupart sont déjà poussés dans les retranchements d'une brutalité psychologique qu'aucun être de leur âge ne devrait connaître (l'héroïne Ida tente par exemple d'exister dans l'ombre hélas très envahissante de l'autisme de sa grande soeur) mais la fuite habituelle vers un mélange d'imaginaire, d'amitié solidaire ou d'expérimentations de sensations inédites face à la matérialisation de concepts jusqu'alors abstraits dans l'esprit d'un enfant, va être ici détournée à son paroxysme avec l'émergence bien réelle de dons hors du commun.
Et, bon sang, Eskil Vogt va viser juste grâce à cette idée, très juste même ! Avec un langage visuel épousant à merveille l'aspect sensoriel de ces pouvoirs devenus l'émanation littérale des bouleversements intérieurs éprouvés par ces enfants, "The Innocents" joue brillamment sur les réminiscences d'émotions quasi-primitives du spectateur pour les décupler de façon sidérante dans la violence croissante et inouïe des épreuves qu'Ava et ses amis doivent traverser.
Si, d'abord, les premiers actes des enfants, certes très malsains pour certains mais encore fruits de leur quête de personnalité et de sens moral, sont là pour tester leurs limites (et celles de leurs parents) tout en traduisant une douleur qu'ils peinent à exprimer, la progression de leurs capacités, vues comme des premiers signes de prépuberté, va en faire éclater tous les contours, corrélant cette recherche de soi à la manière de gérer ce mal-être sur le seuil de la moralité. Comme, bien sûr, dans ces conditions extraordinaires, ces petits personnages ne vont pas tous pencher du bon côté de la balance, la situation va vite dégénérer et même devenir carrément explosive, obligeant notamment Ida à s'affirmer plus vite que de raison et à trouver des solutions pour contrecarrer sa némésis qui, elle, a pris une direction totalement contraire, le tout sans appui extérieur possible.
En étant clairement désigné comme le principal responsable par ses manquements, le monde adulte est en effet condamné à ne jamais pouvoir interférer dans une possible résolution des événements. Son incompréhension et surtout sa passivité vis-à-vis de sa progéniture s'incarnent plus particulièrement dans un rôle de pion ironiquement détourné par des instincts vengeurs dont il est lui-même la source (ce qui donne encore une fois bon nombre de représentations dévastatrices en termes de souffrances psychologiques) et cet aveuglement permanent devient même le parfait théâtre d'un acte final où toute personne ayant refermé les portes de l'enfance derrière elle est de fait réduite à un statut de figurant. Dans la banalité du quotidien et d'une foule qui n'a absolument aucune conscience de ce qui est en train de se jouer, le devant de la scène sera alors laissé aux "Innocents" qui n'en sont plus vraiment, obligés de se charger eux-mêmes des déviances que leurs propres aînés ont engendré par leur irresponsabilité...
Aussi éprouvant qu'atypique par le chaos des émotions enfantines aujourd'hui profondément enfouies qu'il convoque, ravive et attise à l'écran, "The Innocents" fait figure de premier gros choc d'horreur/fantastique incontournable de 2022 !