Annoncé et attendu depuis dix ans, The irishman signe le retour de Robert De Niro devant la caméra de Martin Scorsese après vingt cinq ans et le retour de ce dernier au film de gangster, genre dans lequel il rencontra parmi ses plus grands succès critique (Les affranchis, Casino). Finalement financé par Netflix après des années de difficulté de production, la sortie du film sur la plate-forme semble gonflée pour un cinéaste qui tente de tirer la sonnette d'alarme sur le débordement actuel du cinéma de divertissement sur le cinéma d'art. Alors, nouveau chef d’œuvre ou redite tardive dont on aurait mieux fait de se passer ? The irishman se situe vraisemblablement un peu entre les deux.
Le récit revient sur l'histoire, étalée sur plusieurs dizaines d'années, du gangster et homme de main Frank Sheeran. De son premier travail de livreur à son accession aux hautes sphères mafieuses, cette fresque mêle la petite histoire underground de la mafia en la raccordant à la grande Histoire (élection de Kennedy, Watergate...) sur une durée de 3h30. Ce qui impressionne surtout dans The irishman, c'est la qualité et la fluidité de son scénario signé Steven Zaillian. Même si dans de brefs moments, quelques scènes semblent un poil trop longues, on ne s'ennuie pas, ce qui est plutôt exceptionnel pour un film qui n'est quasiment constitué que de scènes de dialogues en intérieur. C'est la combinaison de la structure scénaristique solide (qui rythme le film) et de l'improvisation des acteurs à l'intérieur de cette structure (qui rend le film vivant au delà de sa simple mécanique de scénario) qui permet de maintenir une attention de tous les instants. Les intrigues s'enchaînent et les personnages secondaires rentrent et sortent du cadre à vitesse grand V assurant un renouvellement constant des enjeux.
The irishman n'est pas non plus sans humour et on retrouve un ton caustique déjà partiellement présent dans Les affranchis ou Casino. Cette manière légère de traiter du milieu du banditisme se retrouve dès le titre du film à l'écran (différent de celui de l'affiche) "I heard you paint houses", où la voix off illustre une éclaboussure de sang sur du papier peint. Cependant, bien que le film contienne quelques scènes succulentes (dont une histoire de poisson), aucune ne semble pour autant pouvoir atteindre le niveau de certains passages les plus cultes de la filmographie scorsesienne.
Impossible de parler de The irishman sans aussi évoquer ses acteurs. 9è collaboration avec Robert De Niro, mais première avec Al Pacino, Martin Scorsese redonne une dernière chance d'un grand rôle à ces figures vieillissantes dont les dernières apparitions au cinéma relevaient au mieux de l'hommage (De Niro dans Joker, Pacino chez Tarantino) et au pire du cachetonnage le plus basique (faut-il les citer ?). Difficile de gommer l'âge de ces acteurs malgré les prouesses techniques du rajeunissement numérique. Le lissage des visages est crédible mais ne peut tout cacher et les coutures du trucage apparaissent parfois sous l'aspect d'une bouche à la diction peu ferme ou de gestes incertains. Cela frôle même le ridicule lors d'une scène où De Niro rajeuni tabasse un homme mais avec l’énergie d'un vieil arthritique. Les acteurs paraissent globalement trop vieux à l'écran et même si leur qualité de jeu est la plupart du temps impeccable et qu'on ne peut nier le plaisir de les voir regroupés une dernière (?) fois, The irishman manque tout de même souvent de peps et de sang neuf.
Baroud d'honneur d'une équipe de choc, The irishman, même s'il n'égale pas le rythme et l'ampleur d'autres grands films scorsesiens, s'avère tout de même une bonne surprise. A la limite de la mini série de par sa durée, son écriture ciselée et son mode de distribution, difficile de bouder son plaisir en revoyant interagir à l'écran cette brochette d'acteurs dans un film qui, pour la plupart probablement, leur offre un dernier joli rôle à leur mesure.