Pendant près de deux heures, on s'ennuie pas mal, se laissant aller aux considérations faciles sur la durée du film, et sur comment une heure de moins n'aurait pas été de trop. Martin semble vouloir faire revivre ses grandes oeuvres post Les Affranchis, mais le rythme est lent, De Niro ne paraît jamais aussi vieux que lorsqu'on lui rajeunit le visage, Pesci sort de sa retraite pour nous montrer sa nouvelle collection de rides, Pacino a pris de sacrés kilos que Tarantino nous avait bien cachés, et Martin semble trop fatigué pour courir derrière une caméra qui ne virevolte plus comme elle en avait l'habitude. La musique n'invoque plus l'énergie des Stones ou de Clapton, mais plutôt des blues lancinants et des standards datés.
Puis arrive cette musique originale, quelques notes crépusculaires, une batterie au bout de sa vie... Et une dernière heure de film qui vient confirmer cette intuition du spectateur, celle de voir des fantômes à l'écran faire leurs adieux en revenant sur leur parcours en attendant la mort. Nous aussi, on était a little worried, voire more than a little worried à mesure que le film avançait. Mais à l'image des personnages qui prononcent ces mots, ça ne cachait que quelque chose de plus intense, de plus grand. Des regrets de ne pas avoir su voir ce qui était sous nos yeux. Des regrets pour nous, mais surtout pour eux.
Alors on imagine Martin au moment de prendre sa décision sur la vente de son film au plus grand instigateur de la transformation de l'industrie du cinéma des trente dernières années. Lui qui s'est battu toute sa vie pour la conservation d'un art, le voilà qui capitule, creuse sa propre tombe dans l'espoir d'échapper au destin funeste de la vision du Cinéma qu'il s'acharne à vouloir défendre. S'abandonner aux nouveaux modes de production, mais sans doute aussi, accepter son incompréhension face à la nouvelle génération qui va bientôt prendre le relais : Frank face à sa fille tente de se justifier en en appelant à la protection, et elle qui explique qu'il n'a aucune idée d'à quoi a pu ressembler leur vie. Comment protéger quelque chose qu'on ne connaît pas, qu'on ne comprend plus ? Sans doute que pour accepter ce deal, le réalisateur a dû regarder son script, et la noble obstination de Jimmy Hoffa pour garder le contrôle de son syndicat. Autant dire de son héritage, laissé en son absence aux mains d'un yes man aussi fade qu'un film Marvel.
Pas étonnant qu'avec tout ça, Martin pense un peu à la mort. Elle est partout dans le film, attend chacun au coin d'une rue, d'une manière ou d'une autre. Quelle émotion que de le voir finir son film sur une porte entrouverte, pour l'accueillir comme il se doit. On se demandait pourquoi ce plan sur Hoffa qui ne ferme pas complètement la porte de sa chambre s'étirait de la sorte, on a notre réponse. Hoffa, le seul prêt à mourir dans l'instant, le seul non compromis. Comme si Martin nous présentait son nouvel alter ego. Mais on le sait (et il sait qu'on sait), lui a toujours plus été De Niro que Pacino. Alors il attend, et se prépare. Se prévoit une place dans une crypte pour se stocker, comme on stock des bobines de film. Tout le monde est mort désormais, et tous sont voués à l'oubli. Mais pour certains, ça prendra plus de temps que d'autres. You're dead but... It ain't that final.
Quelque part, peu importe que le film ne soit pas une grande réussite. L'adieu qui s'y cache est sacrément émouvant.