Scorsese, De Niro, Pesci, la mafia... Ça sentirait pas un peu voire même franchement le réchauffé ?
Beaucoup de choses ont déjà été tournées et dites sur la mafia. A toutes les périodes, dans de nombreux pays. Des sagas oscarisées aux séries primées aux Emmys.
Bob a plus de 75 ans et, ne nous le cachons pas, cachetonne depuis une vingtaine d'années dans des productions de plus en plus faiblardes. Joe a le même âge et est à la retraite depuis le début du nouveau millénaire (3 films depuis 1998). Martin a un an de plus que ses camarades et revient à un de ses thèmes de prédilection.
Le film peut-il être à la hauteur de nos attentes ?
D'emblée, une première problématique se pose: je n'ai pas vu le film dans des conditions optimales.
Le long métrage étant produit par Netflix, je n'ai pas pu me rendre en salle pour le voir. J'ai dû me contenter de l'écran de mon salon après m'être connecté sur la plateforme de VOD.
Netflix a de nombreux défauts mais elle peut s'enorgueillir de quelques belles réussites comme Okja, Roma ou Triple Frontier. Je ne ménage pas le suspense plus longtemps... Il en va de même pour The Irishman.
Le film est très bon. Mais il diffère des autres films de mafia du réalisateur que sont Mean Streets, Les Affranchis, Casino, et ses films où la violence est le moteur de l'histoire: Taxi Driver, Les Nerfs A Vif...
C'est un film testament à plusieurs niveaux.
Scorsese est un metteur en scène de 80 ans qui dresse un bilan à travers le film. Malgré tout, il se dit rempli d'énergie et n'est pas prêt de s'arrêter avec déjà un projet alléchant sur Roosevelt.
Martin met fin à un cycle, à son genre de prédilection. C'est un testament pour les films de gangsters.
Il est aussi l'héritier et le témoin de l'histoire du cinéma, son plus grand défenseur.
Il s'occupe de la préservation des films et de tous les cinémas: qu'ils soient américains, européens ou asiatiques. Il le fait avec humilité et énormément d'amour.
Habituellement, Scorsese nourrit la mythologie de la mafia. Il a contribué à en écrire plusieurs de ses plus belles pages. Paradoxalement The Irishman est un film sur la vie et non un film de gangsters.
S'il est un cinéaste de la violence, il livre ici un film très posé. Il n'y a pas de glamourisation de la violence. Le film peut se montrer contemplatif par moment. Le montage de sa complice Thelma Schoonmaker est magnifique mais moins rythmé qu'à l'accoutumée.
Bien sûr la violence est présente durant ces 3 heures 30. Mais elle n'est pas graphique. Elle n'est pas esthétisée. Elle sert l'histoire et uniquement celle-ci.
On peut dès lors faire le parallèle avec Les Affranchis qui serait l'autre côté du miroir, l'autre face d'une même pièce-partition.
Le premier tiers du métrage respecte la méthode Scorsese avant de s'en éloigner: ellipse, voix off, exaltation, vitesse.
Le film est différent de son jumeau des années 90. Il ne possède pas la même frénésie ni sa grandiloquence. La dynamique est tout autre alors qu'il dépeint lui aussi une vision du monde mafieux italo-américain.
2 plans séquences suffisent à montrer la différence de traitement réservée aux deux films.
Dans les Affranchis, on suit Henry Hill, joué par Ray Liotta, accompagné d'une fille. Ils traversent la rue, de nombreux couloirs, les cuisines, reconnaissant et saluant tout le monde jusqu'à l'arrivée à sa table que l'on prépare sous nos yeux: il est devenu un affranchi.
Dans The Irishman, le magnifique plan séquence d'ouverture nous fait comprendre que l'enjeu sera tout autre. On remonte lentement un couloir de maison de retraite, au rythme de la musique des Five Satins, jusqu'à arriver dans le dos d'un fauteuil roulant. En le contournant, on découvre le protagoniste principal en fin de vie.
C'est un film sans exercice de style, sans fioriture.
Comme dans d'autres oeuvres de Scorsese, on a le droit à un "rise and fall" sauf que la vision présente est tragique et d'une grande désillusion. Les figures de style imposées qu'il a en partie créées sont déconstruites pour livrer un film amputé de passion.
C'est un film somme. Une éloge funèbre d'une certaine Amérique.
Nous sommes témoins, tout comme les personnages, en filigrane d'évènements marquants et symboliques comme la débandade de la Baie des Cochons ou l'assassinat de JFK. L'Amérique est démythifiée.
The Irishman est une grande fresque humaine. On voit vieillir les personnages sur plusieurs décennies. Il y a beaucoup d'émotions. Le film s'arrête sur l'humain, le temps qui passe. Le sujet est donc un drame. Ce n'est pas un film de démesure. Pas d'explosion, de gunfight. Le film est presque intimiste, avec un style très posé.
En ce qui concerne les personnages principaux, nous avons devant nous la sainte trinité des acteurs avec les magistraux De Niro, Pesci et Pacino.
Pacino joue Jimmy Hoffa, personnage incontournable de l'Amérique des années 50 et 60. Il est le dirigeant tout puissant du syndicat des Teamsters, les conducteurs routiers, qui compte plus d'1,5 million d'adhérents. Il participe au blanchiment d'argent de la mafia de Chicago en utilisant l'argent de la caisse de retraite des Teamsters pour investir dans les casinos de Las Vegas.
Pacino le joue sans cabotinage mais avec la démesure du personnage. C'est un animal politique dans toute sa splendeur: crapuleux, aux méthodes mafieuses, scandant à plein poumons à qui veut l'entendre: « My union! My union ! ». La relation qu’il tisse avec la fille de Frank le rend attachant et moins détestable.
Puis, il y a Joe Pesci. Ici Russell Bufalino. Habitué aux personnages énervés et sanguins, il est tout le contraire sur cette pellicule. Il reste un associé de la mafia, une ordure, mais dans un rôle touchant en père de substitution de Sheeran. Il est agréable et chaleureux. Ses derniers instants en prison provoquent une grande émotion et sa dernière vision ainsi que ses dernières paroles résonneront longtemps en nous et en Frank Sheeran.
Et enfin, voilà. Après 24 ans, De Niro est de nouveaux au casting d'un film de Martin Scorsese (Casino remonte à 1995…).
On le retrouve comme on l’a laissé. Avec de nombreuses rides et kilos en plus.
Il est le personnage principal, le témoin de l'histoire. Mais c'est la figure de l'ombre. Il éprouve une fascination pour ces 2 « maîtres » : Russell Bufalino et Jimmy Hoffa, qu’il sert et dont il exécute les basses besognes.
Il n’est pas le personnage central. À travers un regard décalé, on ne suit traverser les événements et les époques. L'histoire se déroule au fil de la mémoire de Frank Sheeran. Comme il est précisé dans son entrevue avec deux agents du FBI, il est le survivant, le dernier témoin à pouvoir se rappeler. Il se souvient du bon vieux temps et nous le conte avec mélancolie.
Son seul regret est sa fille et sa non relation avec elle. Car dans la véritable vie des truands, leurs actes ont un impact sur leurs familles.
Les scènes entre les gangsters et leurs enfants sont déchirantes. Les conséquences sur ces derniers sont désastreuses. En résulte un silence lourd, pesant, définitif. Peggy se mure dans celui-ci et Frank ne pourra plus l’atteindre. Ce dernier envie la relation que noue Hoffa avec sa fille. Ses liens sont plus forts avec ses employeurs qu’avec les siens.
Le seul bémol serait le de-aging. Il n’est pas choquant. Il est même plutôt réussi et réaliste.
La limite des plans de jeunesse est la gestuelle. Les acteurs n’arrivent pas à se mouvoir et réagir comme leurs personnages à l’âge de 40 ans. On le constate dans la scène du passage à tabac de l’épicier au début de l’histoire. On frise le ridicule. Le problème est que l’on connaît De Niro jeune et que le rendu ne correspond pas.
Comme pour Once Upon A Time In Hollywood, le film pourrait durer une heure de plus. On est happé, pris dans l’histoire. On se laisse bercé par l’ambiance. Une grande réussite.