La brillante ouverture de The Killer marque comme il se doit le retour aux affaires de David Fincher après la parenthèse austère et cinéphile de Mank. Après un générique qui renoue avec la noirceur de Se7en, le metteur en scène dont l’ego n’est plus vraiment mesurable s’offre un autoportrait gorgé d’autosatisfaction. Son protagoniste, méticuleux et patient, austère disciple de l’excellence, va ainsi égrener ses devises, déployer son matériel et offrir le regard le plus perçant sur la façade au bout de sa lorgnette : cadrée au cordeau, dilatée à l’envi, se délectant des balances de point, la séquence est un clip premium qui prend un malin plaisir à fusionner le tireur et le réalisateur, tous deux adeptes du perfect shot.
The Killer offrira quelques autres morceaux de bravoure, comme une silencieuse fuite au volant d’un scooter électrique dans Paris by night, ou un combat brutal épaissi par un son en sourdine se mariant très habilement aux mélopées toxiques de la BO des fidèles Trent Reznor et Atticus Ross.
Mais elles resteront des parenthèses enchantées dans un bien morne écrin. Les prestigieux aînés que sont Le Samouraï et Ghost Dog, sur un tueur ascète et sa philosophie nihiliste causent bien du tort à notre Fassbender anonyme, aussi taiseux qu’il est bavard par une voix off presque embarrassante, pêle-mêle de mantras répétés ad lib, de statistiques pseudo cyniques et d’aphorismes post pubères. Étonnante paresse d’écriture pour un réalisateur qui avait su si bien sonder les profondeurs opaques du mal, d’autant que ce portrait fade se dissémine sur une intrigue on ne peut plus linéaire, où l’on n’épargnera aucun cliché sur le tueur à gages de prestige international, changeant d’identité toutes les dix minutes, d’une intelligence hors-norme pour aller déloger les cibles les plus inaccessibles. On nous rétorquera sans doute que là n’est pas l’essentiel, et que notre formaliste obsessionnel s’intéresse davantage au discours de la méthode qu’à la destinée de son protagoniste. Cette fascination reste cependant ici d’une déconcertante superficialité, totalement cadenassée par un discours circulaire et une mission redondante, catalogue d’exécutions en forme d’exercices de style (le larbin, le molosse, la secrétaire, le patron, la femme, le trader), avec un seul dialogue qui pourrait éventuellement faire vriller le control freak, lorsque Tilda évoque sa dépendance, mais pour aussitôt reprendre les rails patiemment huilés depuis le départ.
Cet objet assez déconcertant, par ailleurs l’un des plus courts de la carrière de Fincher (excédant de quelques minutes à peine Panic Room, lui aussi bien mineur) ne semble pourtant pas l’être pour de bonnes raisons : nulle radicalité narrative dans ce mode d’emploi déjà vu cent fois pour s’introduire dans un site sécurisé, nulle audace dans ces placement éhontés pour Amazon ou ce triste best Of des Smiths, à qui on rend finalement peu justice, nulle épaisseur dans ce qui se voudrait le portrait d’une machine humaine.
Il est assez intéressant de se souvenir que cette très prenante séquence d’ouverture s’achève en réalité sur un échec : la voix off, la patience, cette très poseuse déclaration d’intention débouchent sur un tir raté. On aurait pu croire qu’il s’agissait là pour l’auteur retors d’introduire le ver dans le fruit savoureux de la maîtrise, mais il n’en est rien : tout le récit à venir ne sera qu’une revanche sur ce faux-pas, même s’il s’agit de montrer, et de prendre ses distances avec un exécuteur sans considération pour l’innocence possible de ceux qui croisent sa route.
Le missed shot finit donc par se retourner contre le projet lui-même, faussement ambitieux, maladivement formaliste, et roulant avec assurance sur l’autoroute de sa propre contemplation. Le maître en a-t-il cure ? Qu’on se souvienne d’un des mantras du tueur, qui, pour le coup, ne sera proféré qu’une seule fois : I. Don’t. Give. A. Fuck.
(5.5/10)