Dommage que Ferrara se perde un peu dans des délires outrageusement esthétisants (avec ces filtres bleus et rouges très forcés, on n'est pas loin des dernières productions portant le sceau "NWR") qu'il peine à renouveler et dans des facilités scénaristiques plutôt dommageables, car il y a vraiment dans "The King of New York" comme ailleurs une approche de la vie nocturne new-yorkaise unique. J'ai parfois l'impression de ressentir chez Ferrara ce que beaucoup semblent ressentir en regardant un film de Michael Mann, et c'est sans doute plus évident pour un film comme "Sixième Sens", avec ses teintes bleutées très froides. Les tableaux sont peints de manière très lourde, et même si cela est bien sûr intentionnel, l'effet recherché n'est pas systématiquement au rendez-vous.


La figure du gangster passionne Ferrara, et il s'applique à dépeindre leur milieu de manière très nuancée sur le plan moral. Il n'y a pas les méchants gangsters d'un côté et les gentils flics de l'autre : ce sont eux univers aux frontières poreuses, deux familles qui ont beaucoup à apprendre l'une de l'autre. "The King of New York" mise beaucoup (à raison) sur le talent de Christopher Walken à incarner un parrain de la drogue de retour de prison. Mais là où "Carlito's Way" montrait un monde en décrépitude, Ferrara montre un roi qui reprend son siège et assoit son pouvoir de force. Il insiste aussi, comme souvent, sur le côté "entrepreneuriat" de ces malfrats, qui se contentent de gérer une part de marché conséquente. Walken se considère avant tout comme un businessman, avec une certaine morale (il n'apprécie pas trop les caïds qui font n'importe quoi comme du trafic d'êtres humains ou de la prostitution d'enfants), même si ce trait est très abusivement forcé à travers sa volonté de construire un hôpital... En mort-vivant au regard halluciné, comme toujours, il assure. Une gueule parfaite dans cette jungle urbaine et nocturne. Avouons aussi qu'il compense (sauf quand il danse sur du hip-hop !) les prestations assez peu convaincantes de ses sbires comme "Larry" Fishburne, assez pathétique en gangsta racaille à grosses chaînes.


Le film se termine sur un anti-climax, anti-spectaculaire, loin de la mort du gangster classiquement idéalisé, à l'arrière d'un taxi. On est un peu chez Rimbaud, "Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; / Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, / Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit". Comme souvent chez Ferrara, la morale est disparate, incertaine, volatile. À la différence d'un Harvey Keitel en souffrance, en proie à toutes les formes d'enfers du côté de "Bad Lieutenant", Christopher Walken les aura regardées droit dans les yeux.


[AB #147]

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le 28 oct. 2016

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Morrinson

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