Habituellement, même les très (très) mauvais films ne montrent pas l’étendue des dégâts dès leur intro. Il y a plutôt une lente dégradation de l’œuvre, qui finit par s’égarer dans une spirale de grand n’importe quoi. Mais pas ici. Sean Penn, dans son infinie bonté, entame son dernier long-métrage avec subtilité par une infographie et un texte sur l’Afrique qui laissent pantois. Je n’ai plus les mots exacts en tête, mais en gros une comparaison directe est établie entre la guerre opposant deux pays irréconciliables et… l’amour impossible entre un homme et une femme. Vraiment, Sean ? Il t’est arrivé quoi depuis Into the Wild ? Ce dernier n’était peut-être pas un chef d’œuvre de subtilité, mais la différence de qualité entre les deux œuvres est abyssale. Même en ayant lu les pires critiques, je me disais qu’il ne pouvait pas avoir sombré si bas.
Sur notre superbe blog avec des images originales (ou presque)
Désolé de casser le suspense, mais en fait si, et même bien pire que ça. Dès le premier plan c’est la déchéance esthétique, on se situe niveau téléfilm à gros budget, mais pas hyper soigné non plus (faut pas pousser). La photo est particulièrement fade, pour ne pas dire laide, les cadrages n’ont aucune inspiration, la profondeur de champ est aux fraises… Heureusement, plus loin dans le film, certaines séquences sont déjà visuellement plus probantes, mais on tombe aussi dans l’extrême inverse avec des plans « parfaits » tout droit sortis de publicités pour parfums, et donc fort inadaptés. Je me suis fait assez rapidement une réflexion qui s’est tristement avérée vraie pour le reste du film : on dirait qu’il a été réalisé par un jeune étudiant en cinéma idéaliste et condescendant, gavé aux films de Malick et tentant de le copier sans le comprendre. En tout cas on a du mal à croire que quelqu’un d’expérimenté a tenu la caméra et surtout osé rendre cette copie.
Comment les acteurs ne se sont-ils pas rendus compte de la galère infâme dans laquelle ils s’étaient embarqués ? Javier Bardem (Miguel) et Charlize Theron (Wren, oui c’est moche) n’ont jamais joué aussi mal, manquant de s’étrangler à chaque réplique atroce constituant les dialogues les moins naturels que j’ai vus au cinéma depuis longtemps. Si ça ne tenait qu’à moi, le scénariste serait radié à vie du milieu du cinéma. Il y a notamment une réplique de Jean Reno (Dr. Love, si si) qui semble être devenue culte parmi les petits veinards qui ont vu le film cette daube. Quand quelqu’un demande à Wren pourquoi elle n’a toujours pas épousé Miguel, elle répond qu’elle doit bien pouvoir attraper (grab) quelqu’un dans le coin qui acceptera, ce à quoi Reno rétorque avec un sérieux professoral « It’s not grabbing, it’s loving ! Loving… ». Je… hein ? Vraiment ? Mettons-nous bien d’accord, en plus d’être atrocement ridicule, ça ne veut rien dire. C’est juste effarant de nullité ! Heureusement, quelques ricanements dans la salle m’ont rassuré sur ma santé mentale. Même chose quand ce fameux docteur s’emporte après Wren à propos de son engagement humanitaire, Reno sonne comme un ado qui pique sa crise dans un anglais épouvantable, impossible de ne pas rire alors que la scène est censée être des plus intenses.
Il y a tant de choses à dire sur ce film qu’il m’était plus facile d’en parler que d’écrire dessus, je dois bien l’avouer. Quel Miguel soit un gros fan des Red Hot Chili Peppers, pas de souci, qu’on en parle tout le temps pour avoir l’air cool ça gonfle un peu, mais alors qu’il n’écoute QUE Otherside, c’est quoi cette obsession ? On doit l’entendre au moins trois fois dans le film, en plus d’une version instrumentale par Zimmer. Et comment oublier son utilisation délirante dans ce qui est probablement la séquence la plus surréaliste du film ? Miguel et Wren emmènent les enfants faire un tour en pick-up pour se détendre, ils écoutent Otherside (quelle surprise), et d’un coup Wren pète un plomb en clamant qu’Anthony (le chanteur, faut suivre) est sexiste, malsain et je ne sais plus quelles absurdités (je sais très bien que les Red Hot parlaient souvent de sexe assez crûment à leur début, mais pas dans cette chanson). Au point de sortir de la voiture en marche et de continuer sur le côté à grandes enjambées, pendant que Miguel lui balance des vannes en carton. Bon, c’était déjà bien gênant, mais là-dessus plan rapproché sur Wren qui écarquille les yeux (horreur, terreur !), puis on découvre une scène comme il n’y en a même pas dans le dernier Mel Gibson.
Si vous voulez éviter le spoil et/ou que vous êtes une âme sensible, passez au paragraphe suivant.
Nos deux « héros » découvrent donc un village à feu et à sang, dont la route est barrée par l’intestin d’un gamin éventré, que l’on a attaché à deux arbres de part et d’autre. Le problème, c’est que cet enchaînement illustre le plus gros problème du film, annoncé il est vrai par le carton d’intro : juxtaposer sans cesse des problèmes ridicules de gens privilégiés à la misère et à l’horreur vécue par les peuples africains en guerre. J’évoquais le Mel Gibson, qui a la réputation assez méritée d’être très violent, mais The Last Face m’a bien plus choqué. Il n’y a quasiment pas de numérique, les plaies sont montrées de façon bien sordide, pareil pour les opérations, à grand renfort de patients mutilés. Au cas où vous n’auriez pas compris que la guerre c’est mal, l’ami Sean vous en mets (beaucoup) plus pour le même prix.
A ce stade-là, que dire de plus ? On est tenté de lister toutes les scènes surréalistes et indécentes qui parsèment les interminables 2h10 du film (si on peut encore appeler ça un film), mais d’autres l’ont fait à ma place, et certainement mieux. J’y ai tout de même cédé car un naufrage pareil ne peut se raconter sans exemples, sinon c’est précisément là qu’on a du mal à croire à quel point ça peut être raté. Histoire d’enfoncer le clou, je tiens à signaler que c’est le pire film que j’ai vu au cinéma depuis Lucy. Si on m’avait dit à l’époque que Sean Penn aurait l’honneur d’être le suivant, jamais je n’y aurais cru. On est devant le genre de film qui n’est pas juste un ratage, un accident industriel, une commande sans inspiration comme Hollywood en pond des dizaines par an. Non, c’est le genre de film qui pousse un spectateur à se poser des questions sur la santé mentale des personnes qui ont travaillé dessus, et je suis on ne peut plus sérieux.
En premier lieu, Sean Penn et le scénariste doivent être jugés pour crimes contre le cinéma, mais également les sept personnes créditées à divers postes de production. Eux qu’on connaît trop bien pour entraver ou museler de nombreux réalisateurs (y’en a des bien, je ne généralise pas), il faut croire que sur The Last Face le bon sens était aux abonnés absents. Se dire que produire un film avec un tel pitch de départ est une bonne idée reste une aberration en soi, Sean Penn ou pas, gros casting ou pas. Impossible de savoir s’il y avait un vague espoir de viser un Oscar ou s’ils voulaient simplement produire un film engagé (je m’étrangle), toujours est-il qu’un tel projet aurait pu, et surtout dû, être annulé à chaque étape de sa conception. Je serais très curieux d’en voir un making of, pour savoir un peu à quoi ressemblait le tournage d’un machin pareil. Bordel Sean, je suis tellement dérouté que je ne sais pas comment finir ma critique. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le film n’est pas assez nanar pour payer une place, et que même avec une carte illimitée, un peu de masochisme ne sera pas de trop. Ah par contre le film a une énorme qualité que je dois bien lui reconnaître : après avoir vu ça comme premier film de 2017 au cinéma, le reste de l’année ne pourra être que meilleur.